Villa
de Suède ce 27 Juin 1916
Mon Jean bien aimé
Comment t’exprimer ce qui vient de
se passer en moi au reçu de ta carte du 21 ? Cela ne peut s’écrire. Tu lis
dans mon âme, tu le comprends. Après avoir remercié celui qui écoute nos
supplications et qui a fait encore bonne garde autour de toi j’ai vite écrit à
tante Fanny qui s’inquiète bcoup aussi et qui ce matin m’avait écrit une bonne
carte pr me faire reprendre courage, me disant que des gens de Marseille, les Gétaz,
ayant un fils au 132 ne savaient rien depuis le 14. J’étais aussi effondrée que
hier, mais à peine capable, même de prier. C’est la vieille Alice qui m’a
apporté ton mot en chantant pr ne pas trop m’emotionner et je lis entre les
lignes les souffrances sans nom qui ont été votre lot…
Comment pouvez-vous supporter de
pareilles choses ? Comme il me tarde d’avoir des détails ! Avez-vous
reçu des provisions… avez-vous souffert de la soif ?
Devez-vous retourner dans cet
enfer ? et tu es peut être à nouveau à l’heure où je t’adresse ces lignes.
Oh ! que Dieu ait encore pitié !
Nous t’envoyons des paquets, mais
hélas cela est long et tu n’as peut être pas encore le premier.
Hier j’ai écrit à ton adjudant Lechanteux
pr essayer de savoir et lui est blessé l’est-il gravement ? J’ai écrit
aussi hier à Mlle Viguier elle me télégraphie à l’instant pr me
donner de bonnes nouvelles. Comme elle est bonne ! Elle a donc eu des
nouvelles avant moi : elle me dit qu’une lettre suit.
Sais-tu que je suis restée quatorze
jours sans rien savoir ? tu comprends j’étais au bout de mon courage.
Oh ! mon Jean chéri que tu es un bien aimé ! Ta vie c’est la mienne.
Dors mon chéri, repose toi si cela est possible. Repose ton courage dont
tu as tant besoin.
Nous vivons de toi ici et
t’envoyons tous nos tendresses. Bien des
baisers : les plus doux que puisse faire une mère.
Je ne sais si tu en es cause mais
Alice se dessèche. Suzie bien brave la fait seconder pour tous travaux. Elle ne fait plus que la
cuisine.
Na t’envoie un baiser.