jeudi 31 mars 2016

Paris, 31 mars 1916 – Jean à sa mère

Paris 31-3-16
            Maman chérie  

            Je me suis echappé 20 heures jusqu’à Paris, 20 heures très reposantes et reconfortantes. Si seulement j’avais pu être sur que cette fugue sans permission reussirait, je t’aurais fait signe C’est mon seul regret.
            Je charge Mlle [Léo] Viguier de te raconter tout en detail et je t’embrasse tendrement. 

Jean

mercredi 30 mars 2016

Marseille, 30 mars 1916 – Mathilde à son fils

Villa Svéa le 30 Mars 1916
            Mon enfant chéri, 

            J’ai à l’instant ta carte du 24 venue de Cette, je n’ai plus rien reçu directement [mot illisible] à Marseille. Tu es sur le point de quitter ce séjour ou tu as eu un peu de repos d esprit, un calme relatif, la sécurité et me voilà replongée dans les transes et les soucis.
            Ici la vie est fort agitée et ns regrettons avec Suzie notre vie paisible et calme et reposante du vrai home. Elle me faisait la réflexion que l’intimité du home manque ici totalement. On s’installe difficilement. Il ne fait pas très beau et on ne peut vivre au jardin. Petite recrudescence de froid.
            Na vit en souveraine ; elle a une cour autour d’elle qui la regarde vivre, dormir, teter et prendre ses bains. Son petit corps tout potelé est adorable et ses yeux noirs si vifs font époque.
            Je me demande si je pourrais être longtemps ici. La maison est pleine, on sent qu’on dérange plutôt ; Axel [Busck] a du monter au second. Eliane [Houter, la petite-fille, âgée de 10 ans, d’Axel et de Fanny Busck] couche sur un matelas par terre tout cela est ennuyeux pour nous.
            Je suis fort ennuyée que tu n’aies pas de lit. J’aurais tant aimé que tu puisses te délaisser aisément. Mon pauvre cher enfant.
            Je viens de voir Mme Girbal1, son fils est aussi en Champagne, mais je ne sais plus ou ? Je me hâte pour que partent ses lignes. Tendresse de tous et de ta mère toute son affection. 

Math P Médard
 
_______________________________________________________
1 Jeanne Laurens (1864- ?), épouse de Jules Girbal (1864-1923), pasteur à Marseille. Parents d’Auguste Girbal (1892-1918).

mardi 29 mars 2016

La Cheppe, 29 mars 1916 – Jean à sa mère

29-3-16
            Maman chérie  

            Ma dernière soirée ici. Elle est assez confortable. Nous avons pu allumer un beau feu de bois.
Source : collections BDIC
            J’ai encore reçu une lettre de [Daniel] Loux. Décidement il ne va pas si mal que ça. Son poumon est en bon état. Le médecin lui a même permis de finir en France l’année scolaire, et il va pouvoir travailler 3 mois sérieusement à Paris ou à Montauban.
            Ici ça va toujours naturellement ; mais je suis obligé de reconnaitre que cette vie abruttit, alourdit. On vit moins alors qu’on devrait vivre dix fois plus. J’ai toujours envie de dormir.
            Il me tarde d’avoir de tes nouvelles. Je ne sais pas encore si tu es à Marseille [chez sa sœur Fanny Benoît ép. Busk] ou à Saverdun [chez son frère Georges Benoît et sa belle-soeur  Suzanne Bergis].
Tendresses 

Jean

lundi 28 mars 2016

La Cheppe, 28 mars 1916 – Jean à sa mère

28-3-16
            Maman cherie  

            La pluie continue lamentablement. Aujourd’hui, pas de nouvelles de toi. C’est la periode des paquets. Hier j’en ai encore reçu un de tante Fanny, aujourd’hui ta confiture, toujours aussi bonne.
Source : Mémoires des Hommes
            C’est le vacarme effroyable autour de moi et je ne sais pas trop ce que je te dis. Tu me parles ds une dernière lettre de la mort de Jacques Loux. Oui, la famille sait très bien comment il a été tué. Ce sont des choses fatales. Il y a une forte proportion d’hommes tués par des balles et des obus français et dans certains cas il ne peut pas en être autrement. Ce qui compte ce n’est pas la nature de la balle ou de l’obus, et même les circonstances, mais les dispositions intérieures à faire du devoir à accomplir. Quand à Daniel Loux il n’est décidement pas très bien. Il a perdu du poids ce qui est mauvais signe ds son cas. Quelle situation que la sienne. C’est terrible ! Et jamais il ne se plaint.
Tendrement.

J. Médard

 

dimanche 27 mars 2016

La Cheppe, 27 mars 1916 – Jean à sa mère

27-3-16

            Maman chérie  

            Je reçois ta bonne lettre du 21. A l’heure qu’il est tu es surement à Marseille. L’attaque de Champagne qui t’a inquiété est déjà bien loin. C’était en effet bien près de chez nous, mais ns étions au cantonnement à ce moment c’est alors que ns avons été allertés et avons du faire de nuit ds les boyaux de longues marches et contre marches. Pour le moment je suis toujours aussi loin du front. Cette après-midi ns visitions un vieux camp retranché d Attila [le mot, noirci (par la censure ?), est Attila], les sergents qui suivent un cours de leur côté étaient avec moi, et je n’ai pas été peu étonné de voir parmi eux Larose, le petit sergent du 166, qui était dans la même salle d’hopital que moi à Aix, que je voulais amener à Cette en permission. Il est maintenant ds un regiment de ma division, et j’aurai peut-être l’occasion de le revoir.
Tendrement à toi et à tous 

Jean
Source : collections BDIC

samedi 26 mars 2016

La Cheppe, 26 mars 1916 – Jean à sa mère

26-3-16
            Maman cherie   
           Je mène ces jours-ci une vie bien differente de celle du front. Ce serait le paradis si la pluie s’arretait de tomber, Mais je n’ai pas à me plaindre ; c’est la sécurité complète et le confort relatif. Le cours ne joue qu’un tout petit role dans notre vie, quoique ns soyons là pour ça. Le capitaine qui ns les fait a l’air extremement jeune. Il n’est pas poseur et a l’air très calé. Mes compagnons, c’est [Roger de] La Morinerie que tu connais de nom, un autre aspirant, Simonin, un gros garçon très amusant et spirituel, un petit adjudant un peu pretencieux, musicien, de Rungis, deux ss lieut. un très intelligent, mauvais caractère et gai, un autre, moins intelligent, un peu sollenel et gentil quand meme. J’oubliais l’aspirant Morize, parce qu’il est peu ds le ton. Un homme d’un certain age, qui n’en finit pas, serieux, instituteur ds le civil. Nous ns retrouvons tous aux repas, aux cours et pendant le temps libre. Les repas ns les prenons ds une salle assez confortable, avec table et chaises. [Roger de] La Morinerie qui est chef de popote s’aquitte assez bien de ses fonctions. Les cours consistent ds une conference le matin, et une instruction pratique l’après-midi sur un terrain à quelque distance ; ns lançons des grenades sans faire trop de casse, faisons des relevés de terrains, etc. Le temps libre, on ne fait rien, à moins qu’on aille à Châlons. C’est ce que j’ai fait hier pour la première fois depuis mon arrivée ici On a vite fait de rencontrer sur la route un camion automobile et de sauter dedans. Aussi 15 kil. sont vite parcourus.
            Je suis arrivé assez tôt. Promenade ds la ville. On est toujours un peu abrutti de quitter le mouvement du front, pour trouver celui d’une ville. Châlons = uniformes, embusqués, gendarmes, boutiques, etc. La vie y est très chère.  Ça ne m’a pas empêché de faire un tour à la patisserie, de diner et coucher à l’hôtel. C’est une ville où l’on fait la noce. Comme je ne fais pas la noce, que le café ne me souriait guère, je suis allé à la cathédrale, je me suis assis sur une chaise, et je suis resté là jusqu’au diner. Il y a eu au bout d’un moment service pour les soldats. Un prêtre est monté en chaire et a dit des bêtises, mais je garde une impression très apaisante de ces moments.
            J’ai diné à l’hotel avec de Rungis et Coutard, je suis monté me coucher à la dernière bouchée et je me suis reveillé ce matin à 10 heures, après 12 heures ½ d’un sommeil ininterrompu. A 10 h ½ j’étais au temple. C’était vraiment assez bien (je ne sais pas quel pasteur prechait ?). J’ai du partir avant la fin, et encore suis-je parti à la dernière minute, et arrivé ici à la dernière minute, car ce n’était Dimanche que ce matin.
            J’ai trouvé en arrivant tes deux chères lettres du 19 et du 20. Je t’écris à tout hazard à Marseille. J’espère que tu vas passer là ou à Saverdun quelques bonnes journées ; je te suis par le cœur partout où tu es. J’ai reçu ton paquet plum-cake, veau, chocolat et la confiture est annoncée. Merci beaucoup. Ça complètera agreablement notre ordinaire. Mais vraiment je suis navré que tu depenses tant d’argent pour ces paquets. Je t’assure que ns pouvons nous procurrer de tout. C’est dommage de payer tout ce port en plus.
            Je reçois aujourd’hui une bonne lettre de Loux. Sa santé n’est pas très brillante. Mes correspondants réguliers outre toi sont lui, Léo, un peu Lestringant, Cera, et beaucoup de Mlle Viguier qui m’écrit une carte à peu près chaque  jour et à qui je reponds le plus souvent que je puis.
            Je t’embrasse comme je t’aime.

Jean 

            Mon affection va aussi à tous ceux qui t’entourent qu’ils soient Marseillais ou Saverdunais.

 

jeudi 24 mars 2016

La Cheppe, 24 mars 1916 – Jean à sa mère

24-3-16
            Maman cherie  

            Je t’écris à Marseille. Vous devez y être à l’heure qu’il est. Je ne sais plus rien de vous car vos lettres passent par le front. Même adresse naturellement.
            Je te répète ici ce que je t’écris autre part. Vie très reposante. Camarades très amusants. On ne fait pas grand-chose ; mais ici les cours c’est ce qu’il y a de moins important. Il s’agit de se reposer. Je ne suis pas très bien couché. Trop de monde dans le village. Pas moyen de trouver un lit. Mais on mange beaucoup. Je pense que vous jouissez beaucoup de votre réunion de famille. Na est surement à l’honneur.
Tendrement à tous 

Jean

mercredi 23 mars 2016

La Cheppe, 23 mars 1916 – Jean à sa mère

23-3-16
            Maman cherie  

            Me voici assez loin du front. J’ai quitté la tranchée avant-hier soir. Je suis allé à travers la plaine jusqu’au camp, où j’ai laissé mes affaires. Je suis allé diner à l’hotel à M [Mourmelon]. Là j’ai été rejoint successivement par les 8 ss. lieut et aspirants qui vont faire ma compagnie pendant 8 jours. Les uns sont assez gentils, d’autres très amusants, d’autres quelconques. Nous avons tous couché à l’hotel, c’est-à-dire dans un lit avec des draps, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Ns sommes partis le lendemain matin pour ici, via Chalons, où ns avons passé la journée. J’ai pris d’abord un bon bain, suis passé chez le coiffeur, toutes choses dont j’avais extrêmement besoin. Dejeuner ch. un très bon hôtel avec mes compagnons. Après le dejeuner promenade ds la ville et emplettes. Ns avons repris le train et sommes arrivés ici à la nuit. Pour le moment je couche ds une grange bien aménagée, ça s’améliorera plus tard peut-être si je trouve une chambre dans le village. Ce matin conférence par un capitaine extremement jeune sympathique. En somme ce sera une semaine de détente et de vrai repos.
Très affect. 

J. Médard

 

mardi 22 mars 2016

La Cheppe, fin mars 1916 – Cours de chef de section

 
           Fin Mars, je suis désigné pour suivre un cours divisionnaire de chef de section à La Cheppe. J’y découvre le camp d’Attila, étrange arène parfaitement conservée, où sont entassées des munitions allemandes de toutes sortes récoltées au cours de l’offensive de Septembre.
           Ce dépôt devait sauter quelques semaines plus tard provoquant à nos arrière malgré la distance une forte explosion, tandis qu'un énorme champignon de fumée verdâtre s'élevait vers le ciel.


Source : collections BDIC
           Je n’enrichis pas beaucoup ma science militaire, mais c’est l’occasion de sortir quelques jours de notre vie de tranchée et de faire la connaissance de quelques officiers du régiment avec lesquels je « fais popote » à l’épicerie du village, une de ces épiceries de fortune qui ont  poussé à l’arrière front pour les soldats. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre) 

lundi 21 mars 2016

Front de Champagne, 21 mars 1916 – Jean à sa mère

21-3-16
            Maman cherie            

Je pense partir demain pour la Cheppe. Pour le moment toujours la même vie. Elle devient plus amusante la nuit. On fait alors en dehors de la tranchée des travaux qu’on ne peut faire qu’alors. Tous ces jours-ici ns avons eu clair de lune magnifique. Et notre cité parait à cette clarté encore plus mysterieuse et irréelle.
            Repose-toi bien à Marseille. A partir de demain je t’écrirai à  

[La suite de la lettre manque, le feuillet ayant été déchiré de part en part.]

dimanche 20 mars 2016

Front de Champagne, 20 mars 1916 – Jean à sa mère

20-3-16
            Maman chérie  

Source : collections BDIC
           Je reponds mot pour mot aux questions de la lettre du 15. Notre temps ds les tranchées est occupé à nettoyer et approfondir celles-ci, à faire des corvées de soupe, de materiel, ou autre et surtout à creuser des abrits profonds que nous ettayons avec des planches et des rondins.  
  
            Je dors longtemps : de 8 ou 9 h du soir à 7 ou 8 h du matin. La nuit je me lève parfois pour faire des rondes. Je te répète que pour la nourriture ns avons tout ce qu’il faut. Si tu tiens à m’envoyer q. chose ce sont les gateries qui rappelleront la maison qui sont surtout appréciées : confiture de chataigne, etc. On peut en avoir ici mais pas faites à la maison.
            Il n’est pas tombé un seul obus dans ma tranchée pendant mes sejours. Pas d’autre perte à la Cie que celle dont je t’ai parlé ds une dernière lettre. Tu vois que je ne te raconte pas des histoires quand je parle de securité relative.
            Mon lieutenant ? Il est très gentil, ns sommes en très bons termes, je vis peu avec lui parce que les aspirants vivent maintenant avec les ss-of.
  
[La lettre se termine ainsi. Selon toute vraisemblance, un feuillet manque.]

Sète, 20 mars 1916 – Mathilde à son fils

Cette le 20 mars 1916 

            C’est déconcertant. Je reçois ce soir ta carte du 16 ; cette dernière n’a mis que quatre jours à venir et ce matin ta carte du 14. Y a-t-il eu une missive au 16 ? Enfin je suis bien heureuse d’avoir des nouvelles de quatre jours. Ce que j’aimerais savoir, mon bien aimé c’est si tu es de retour à la tranchée ?  Explique-moi pourquoi vous avez couru les boyaux dans la nuit. Avez-vous la crainte qu’ils fussent envahis ?
            Je vais faire partir demain ce paquet. Par la poste je ne pourrai t’adresser qu une chemise et un caleçon. Hier un paquet est parti. Le contenu te plaira t il ? C’est terrible que ce moyen d’expédition soit si couteux. On voudrait expédier chaque jour.
            Tu dois envoyer tes lettres à Marseille. Suzie y va Lundi prochain et suivant la réponse de tante Suzanne j’irai avec elle ou je partirai pr Saverdun. Dans ce cas, Suzie fera suivre tes lettres et malgré tout j’en serai peut-être privée quelques jours.
            Une grande privation aussi sera celle d’Elna ; tu ne peux te figurer ce qu’elle devient délicieuse ! si mutine, si drolette et éveillée. On va, à Marseille, en faire des folies.
            Je viens de passer quelques heures à la maison pour faire des arrangements. Mon major m’a fait dire par les dames qu’il ne voulait plus payer que 60 frs et Suzie veut que je tienne bon pr 90. Ce sont des choses ennuyeuses à discuter.
            Au retour visite de Mme Pont. Hier ns sommes allées au cimetière avec ta sœur ; elle a été bonne, affectueuse, tendrement filiale comme elle l’est toujours maintenant et je n’ai qu’à remercier Dieu de me donner de tels enfants qui deviennent de plus en plus chers. Quel anniversaire ! que de pensées douloureuses ! que de reconnaissance aussi.
            As-tu des nouvelles de [Daniel] Loux ? Que devient-il ? Qu’as-tu fait au repos ces jours ci ? N’as-tu pas essayé de voir quelques coreligionnaires ?
            Pour la première fois aujourd’hui dans le Journal le ministre [des finances] [Alexandre] Ribod parle à la tribune de la « Paix possible » cela m’a donné du courage pr la journée. C’est vrai que notre victoire, est belle à Verdun ! Le soldat français est le plus admirable des soldats. Mais je crois qu il aura encore à donner bien des preuves d héroïsme et d’endurance avant de rentrer au foyer. Quel beau jour que celui là pr ceux qui y [mot illisible] ! Adieu mon cher trésor. Je t’aime de toute mon âme. Je te serre sur mon cœur. Tu as bien entendu les baisers de tous et les meilleurs de ta mère.
 
Math P. Médard 

samedi 19 mars 2016

Front de Champagne, 19 mars 1916 – Jean à sa mère

19-3-16
            Maman chérie  

            Je pense tout spécialement à toi aujourd’hui et je ne veux pas que le courrier parte sans t’apporter ce mot d’affection, car je te sens malgré tout, angoissée. J’ai retrouvé ma tranchée, toujours aussi calme, maintenant baignée de soleil. Atmosphère tiède. Les oiseaux chantent à plein gosier. Quelle ironie !
            Je pense descendre après demain ou Mercredi pour la Cheppe. J’y retrouverai La Morinerie. Mes braves petits poilus se sont remis au travail. Hier on a affecté à ma section un caporal, encore plus jeune, encore plus gosse que les autres. Il était d’une autre Cie, engagé volontaire de la cl. 16 pour la durée de la guerre. Il a l’air d’avoir 15 ans.
            On passe ramasser les lettres. Je t’embrasse tendrement. 

Jean

Sète, 19 mars 1916 – Mathilde à son fils

Cette le 19 mars 1916 

            Une journée de recueillement et dans les souvenirs douloureux, avant d’aller au cimetière porter une couronne que Suzon a tressée[1]. Je t’envoie ma pensée douloureusement émue et je rends grâce à Dieu de t’avoir préservé cette année si miraculeusement. Qu’il entende oh ! qu’il entende mes prières qui s’élèvent à lui tout le long du jour. Tu dois être de retour aux tranchées. Es-tu reposé ? Qu’as-tu acheté et pu te procurer. J’aimerais le savoir pr t’expédier petit à petit ce que tu n’as pas. Je viens de faire un petit paquet. Hélas c’est si peu. Un petit filet de cochon, un plum kake un peu de chocolat. Dans le prochain veux-tu du lait concentré au cacao. Peux-tu faire chauffer ?


Source : Victoria University of Wellington Library

            J’ai été au temple avec Suzie ce matin. Le texte : Tu es à moi. Rien de prenant ni de consolant. A la sortie j’ai trouvé Mme Frisch qui m’attendait et avec Suzie et Hugo ns l’avons raccompagnée à bord du beau navire Hopital de la Nelle Zelande (le New Zealand)






Source : Victoria University of Wellington Library
     C’est magnifiquement compris grandissement et admirablement construit. Tout le perfectionnement possible dans la chirurgie et la medecine. Tout est ripoliné en blanc. Les appareils étincelants ne sont jamais touchés par des mains non aseptisées ; des pédales font tout maneuvrer ! C’est splendide. Un monde d’infirmiers soldats et de gentilles infirmières  va vient. Au milieu de salles immenses remplies de files de lits perfectionnés se mouvant automatiquement pr eviter le roulis.    
          Ns sommes rentrés tard. Après le déjeuner chacun a été à ce qui l’attendait ou l’occupait. Le thé vient de ns réunir et nos pensées ont été réunies vers toi. Je vais faire la course  projetée. Il fait mauvais. Quel temps as-tu. Dis ns la distance qui sépare ton cantonnement de la tranchée.
            Mme Bergeron m’a repété ce qu’elle m’avait déjà dit sur la mort de Jacques Loux. As-tu su ce qu’il en était ? Une sentinelle lui a demandé le mot de passe. Il portait un ordre. A t  il répondu trop faiblement. On n a pas entendu sa reponse. On a fait feu et il est tombé. C’est atroce. C’est plus horrible que de l’avoir su tué par l’ennemi. C’est la guerre !! et il faut accepter. On a à peine le droit de pleurer. Suzie m’accompagne et m’appelle. Bien vite je te quitte avec un bon, un long baiser que tu dois sentir mon enfant bien aimé. 

Ta mère aff.
Math P Médard

[1] Jour anniversaire de la mort soudaine de Pierre Médard, son mari, en 1900.

vendredi 18 mars 2016

Front de Champagne, 18 mars 1916 – Jean à sa mère

18-3-16
            Maman chérie  

            J’ai reçu hier ta bonne lettre du 13, en même temps que le paquet de Suzon. Tu pourras te documenter de ma lettre à celle-ci sur la façon dont ns sommes nourris et sur nos ressources. Pour ce qui est des paquets de linge, il n’est pas question maintenant de lainage, mais de linge ordinaire. Mes poilus n’ont d’ailleurs besoin de rien pour le moment
            J’apprends à l’instant que je suis designé avec quelques autres aspirants, adjudants et ss-lieut. pour suivre un cours de 8 jours à l’arrière, au peloton de la Cheppe près de Chalons, du 22 au 31 mars. Quand tu recevras ce mot je serai donc probablement en sureté parfaite.
            Je t’embrasse tendrement. 

Jean

 

jeudi 17 mars 2016

Sète, 17 mars 1916 – Mathilde à son fils

Cette le 17 mars 1916
            Mon bien aimé enfant !           

            J’arrive de Montpellier un peu brisée par toute une journée sur mes vieilles jambes et néanmoins j’écris vite vite quelques lignes après le diner que je vais en hate porter à la poste pour que tu ne sois pas un jour sans lettre ! J’ai eu, à l’arrivée, ta carte du 12 et ta lettre, ta bonne chère lettre du 12. Je te remercie de me raconter bien franchement ce que tu as vu, ce que tu as vécu dans cette minute tragique dont le récit me bouleverse ; de mon cœur monte un cri de reconnaissance au Père qui t’a gardé. Tu devais être à côté du pauvre enfant qui a été la victime puisque tu l’as reçu dans tes bras ! Dis-le moi ! J’aime mieux que tu me dises tout cela et surtout que tu ne me caches rien. Lorsque tout est parfait comme tu ne cesses de le dire, je tremble tout de même à l’idée de ce que tu caches. Pauvre enfant était-ce un Breton, un jeune ? A-t-on prévenu sa mère ? Ah quelle est juste qu’elle est vraie ton indignation, qu’il est vrai ton ecœurement. Tout ce sang, toute cette jeune vie anéantie brutalement en pleine promesse pourquoi ? Tu es heureux mon cheri d’être soutenu fortifié par l’Evangile. Ils n’ont pas tous cette consolation, la seule.
            Et toi tu pourrais être celui là et ce soir je pourrais apprendre cette chose horrible !
            J’ai déjeuné chez les Eugène [Leenhardt] ; ils ont des nouvelles de Robert [Leenhardt] et se trouvent privilégiés. J’ai vu en passant une revue, c’était très impressionnant. Très émouvant beaucoup de blessés décorés. Pauvres gars : à l’un il manque un bras, à l’autre une jambe. C’est poignant. Je ne pouvais retenir mes larmes ; personne ne me voyait, j’ai pu me dégonfler un peu. Oncle Fernand [Leenhardt] est encore à Marseille. Je n’ai pas trouvé tante Olga[1] ! la pauvre elle ferme sa maison n’ayant plus de pensionnaires et elle se réfugie avec sa mère à Codognan chez les Rouché ! pauvre amie ! quelle vie dépouillée. Mme Winberg m’a reçu, elle est presque inconsciente. On ne savait encore rien à Montpellier des combattants de Verdun. Plusieurs sont là-bas ! Combien je suis heureuse que Léo, Maury, Grauss, soient en santé.
            Notre armée est vaillante, elle est forte ! C’est une merveille que de tenir ainsi ! Mais !!!!
            Je t’en dirai plus long demain. Je suis lasse ! Te reposes-tu sérieusement ! Quand vas-tu reprendre le collier. Est-ce demain ? Ou avez vous un plus long repos.
            Je ne pensais pas qu’il put y avoir des concerts au front ! Je suis très étonnée.
Mille bons baisers bien tendres où je mets bien des choses 

Ta maman 

            Combien de kilomètre de boyaux pr aller au bourg ou au dernier cantonnement. As-tu vu le colonel ? Veux-tu des livres ? Melle Agassis est bien bonne, je l’aime bien Melle Viguier aussi.


[1] Olga Winberg (1867- ?). Amie d’enfance de Mathilde (paroisse de Sète).

Front de Champagne, 17 mars 1916 – Jean à sa mère

17-3-16
            Maman chérie  

           Toujours au cantonnement. Le temps est moins lumineux, mais tout à fait doux maintenant et le moral est toujours très bon. T’ai-je dit que j’avais reçu une boîte de cigarettes de Mlle Agassis. Si tu as le temps écris de ton côté pour la remercier. Mme [Elisabeth] Grauss m’a envoyé une photo de son mari. Ça m’a fait bien plaisir. N’avez-vous pas de nouvelle photo de Na ? Elle doit être tellement changée. Hier matin j’ai croisé [Roger de] La Morinerie et sa compagnie alors que ns étions les uns et les autres allertés assez loin d’ici. C’est la première fois depuis notre arrivée au régiment que nous avons pu ns serrer la main. Je t’enverrai de temps en temps des paquets comme hier pour me debarasser des lainages trop encombrants et maintenant inutiles. Bonnes nouvelles assez recentes des amis du coté de Verdun : [Albert] Léo, [Pierre] Maury, [Charles] Grauss et [Charles] Wesphal. Aujourd’hui je me repose. Ne t’inquiète pas que le communiqué parle pas de notre secteur ces temps-ci. Nous n’avons eu que le contre coup de cette activité
Vraiment tendrement 

Jean

mercredi 16 mars 2016

Front de Champagne, 16 mars 1916 – Jean à sa mère

16-3-16
            Maman chérie  

           Un mot seulement à la hate. Je suis très fatigué. Nous avons passé une partie de la nuit et de la matinée à courrir les boyaux, heureusement pour rien, et ns sommes de nouveau au repos.
Source : collections BDIC
        Je t’envoie un paquet de linge sale. Envoie moi à la place de ces chemises et caleçons : 1 chemise de flanelle de coton vieille et un vieux caleçon de coton : le plus vieux possible. En effet il est très difficile de faire laver le linge individuel, même impossible, par contre on peut chaque semaine donner le linge sale et l’on touche immédiatement en échange du linge propre, sinon neuf. Envoie-moi donc ce que je demande, ni plus ni plus beau. Reçu avec joie ta lettre du 10 avec joie. Merci.
Tendrement 

Jean

            C’est le printemps.

mardi 15 mars 2016

Sète, 15 mars 1916 – Mathilde à son fils

Cette le 15 mars 1916
 


            Tes quatre cartes reçues hier soir m’ont été une telle joie que j’ai aujourd’hui des ailes, j’en profite pr aller voir Melle Herrmann[1] et Suzie m’accompagnera avec Na pendant que Nounou lave. Ns venons de recevoir une lettre de tante Fanny ns priant de venir le plus tôt possible. Ns avons été sur le point de décider le départ pr cette semaine mais, après réflexion ns attendons que le temps soit mieux établi afin que Na puisse jouir du plein air tout le jour et si Dieu le permet ns irons donc du Samedi [25 mars] au Lundi en huit. Tu calculeras pour adresser tes lettres là-bas afin qu’il n’y ait aucun retard dans notre correspondance. Tu me donneras le plus de détails possibles bien que je comprenne la peine que aies à m’écrire. Tant de choses qui me passent par la tête que je voudrais savoir et au moment où je t’écris je ne me le rappelle plus. Dis moi par le menu de quels travaux se composent vos journées et surtout à quoi les tiennes sont employées dans les tranchées ? à quelles heures tu dors, combien de temps ? En quoi consistent vos repas ? Ce que tu aimerais que je t’envoie pr les compléter, ce que tu préfères parmi les choses que je t’ai adressées. Peux-tu faire chauffer le contenu de conserves ? Alors je t’enverrai des choses cuites que tu ferais réchauffer. Veux-tu de petits réchauds ? du lait concentré pr mettre dans ton café ? de l’argent ? les choses plus importantes viendront quand je pourrai expédier par le chemin de fer en trois ou cinq kilos. Pr ce soir, je vais faire partir un peu de confiture de chataignes. Pourquoi ne vois-tu jamais ton lieutenant ? C’est il lui qui se tient à l’écart. Ne peux tu te faire connaître ? Quel est le nom du général de brigade qui vs a visités ? Ta tranchée reçoit-elle des projectiles ? dis-le moi, je t’en supplie ! Y a-t-il des pertes ? Tante Fanny me dit que [Edouard] Houter navigue autour de Verdun. [Edouard] Picard de Salonique à Port Said, il en a assez. Houter charrie troupes et pruneaux. 
            Rudy [Busck] est allé faire ses adieux Dimanche, ravissant dit sa mère sous son bonnet de police. Il part pr Boulogne sur Seine huit jours après formé à la traction il va au front. Tante Fanny est affolée. Tes cartes lui ont causé un vrai plaisir.
            Tu me fais peur en disant que tu travailles sans casque ? Mon cheri c’est bien imprudent et je te supplie de ne plus commettre d’imprudence. Pr tes hommes aussi c’est une grosse responsabilité.
            Tante Fanny me dit aussi la mort d’oncle André Leenhardt. Il te faut écrire à oncle Fernand [Leenhardt]. Suzie m’attend. Je te quitte si heureuse de te savoir à l’arrière. Hélas rien que pour trois jours encore. Repose toi bien. Dors dans un lit. Oh ! si je pouvais veiller sur ton sommeil. Oh combien je t’aime mon fils. Que Dieu te garde à mon amour. 
Ta mère qui ne cesse de penser à toi
Math P Médard 

[1] Il s'agit sans doute ici de Lina Herrmann, une cousine de Jacques Herrmann, et non d'Alice Herrmann, sa fille (et future épouse de Jean), que Mathilde n'appelle jamais "mademoiselle Herrmann".