4-3-16
Maman chérie
Voilà la semaine de tranchée qui
recommence, dans le même secteur, dans le même abris, avec les mêmes
compagnons.
Il fait beaucoup moins froid qu’à la
dernière réléve ; plus de neige, plus de glace. Simplement de la pluie et
un peu de boue.
J’ai reçu hier soir ta bonne lettre
du 29. Ne dis pas que ce n’est pas intéressant. L’intérêt que je prends à votre
vie n’est pas à proportion des évenements qui la remplissent, mais de mon amour
pour vous. Tout est toujours intéressant. Comment va le furoncle de
Suzon ? Et toi ? Et Na ? Je suis très fier de la ressemblance
avec moi. Remercie Alice de ces bonbons, ils n’ont pas fait long feu. Comment
va son neveu ?
Tes provisions aussi sont bien
acceuillies ; elles completent très heureusement notre menu de tous les
jours. Il ne faut d’ailleurs pas se plaindre, à partir d’aujourd’hui grand
perfectionnement : on mange chaud. Les cuisines étant à plus d’une demie
heure de marche on mangeait toujours tout froid ; maintenant on fait la
corvée de soupe ds des marmites spéciales, et ça arrive chaud. C’est bien
appréciable.
Nous sommes toujours nez à nez avec
les Boches ; très certainement c’est toute une vie grouillante en face de
nous, et pourtant c’est le desert, le desert où l’on ne voit jamais un être
vivant ou les arbres eux-même ne peuvent pas vivre. Seul le bruit des balles et
des obus est là pour nous rappeller que les pierres ont des yeux et des
oreilles.
Tout ce que tu me dis de la journée
de prière de la Féderation à Montpellier m’interesse beaucoup. Je savais par Mlle
[Léo] Viguier que [Henri] Bois devait la présider. Alice Herrmann est prise par la Féderation ; elle n’a
pas fini de faire des découvertes passionnantes. Ça m’amuse que tu me parles la
première de Suzanne de Dietrich. Je la connais très bien ; je ne t’ai
jamais parlé d’elle parce que je pense que ton nom ne te disait rien. C’est une
fille extraordinaire, sans beaucoup de sens pratique, mais une passionnée, qui vit
bien son evangile ; un petit corps d’infirme, une figure toute illuminée
de vie interieure. Je l’ai vue à mes derniers passages à Paris depuis la
création du mouvement des volontaires parmi les femmes. C’est elle qui est à la
tête ce de mouvement. Elle y est bien à sa place.
A Paris aussi la journée de prière
du 27 a été très reussie, très fortifiante d’après les premiers echos. Ce qu’il
y avait d’exceptionnel c’est le grand nombre d’étudiants presents à Paris, soit
en convalescence, soit en permission.
Je suis obligé d’arrêter là ma
lettre pour qu’elle parte aujourd’hui.
Très tendrement
Jean
P.S.
J’ai recommandé ds mes dernières lettres que tu ne m’envoie pas d’effets.
Reflexion faite si tu tricotes des lainages ou fabrique des chemises,
envoie-les toujours. Il vaut mieux que ce soit mes poilus qui en profitent, et
je saurai bien à qui ils seront donnés.