Cette
le 14 mars 1916
Il pleut, le ciel est triste et je
le sens bien profondément car je n’ai
pas eu de nouvelles hier ; j’attends impatiemment le courrier de ce
soir ! Dieu permette que ce ne soit pas une nouvelle deception. Il y a
maintenant 10 jours que je ne sais rien. La lettre d’aujourd’hui était du 4.
C’est long, bien long. Oh ! quand finira ce temps de misère et de douleur.
Nous avons été hier chez les dames Auriol avec Suzanne
ou chacun s’est informé de toi et je suis rentrée par chez tante Anna. Nous
avons longuement causé de Melle Suzanne de Dietrich avec laquelle
Madeleine [cousine germaine de Jean, fille de sa tante Anna] a beaucoup joué en Alsace[1]
dans son enfance. Il parait que c’est Jeanne Bertsch [fille de Berthe Meyer ép. Ulysse Bertsch, une cousine germaine d'Anna Benoît] qui l’a lancée sur la voie
qu elle a suivie, Devinant en elle une « âme d’élite », une grande
âme pr éviter qu’elle dévie sous l’influence d’un mauvais milieu, de sœurs qui
ont mal tourné, elle l’a poussée vers l’atmosphère du presbytère Brestenstein dont
elle est devenu un pilier. Mr [Jules] Brestenstein a produit sur elle l’impression profonde qu’il a su
produire chez beaucoup de ses catéchumènes. Ils ont eu des conversations, des
discussions théologiques et philosophiques à perte de vue et elle s’est dès
lors occupée de toutes les questions religieuses ; elle s’est passionnée
pr tout ce qui est grand et beau pour toutes les questions féministes et la
voilà à la tête du mouvement de l’action. Elle a son titre d’ingénieur et comme
les usines périclitaient sans chef, elle s’est aussi mise à la tête avec son jeune
cousin, l’ami de Madeleine. Mais elle n est actuellement pas en Alsace bien
sûrement. Deux de ses sœurs sont en Amérique avec leur chauffeur et leur
domestique et voilà ce qui m’a été raconté hier. Elles sont trois sœurs toutes
difformes comme le frère.
Je ne me sens pas le courage d’aller
à Marseille ; cela retardera encore l’arrivée de nouvelles et sans cela je
n’ai pas le courage d’aller de l’avant. Ou es-tu ? que fais-tu ? mon
enfant bien aimé. Je pose la question tout haut en regardant Elna installée
dans une corbeille avec ses jouets, elle me gazouille en réponse des tas de jolies
choses que je voudrais que tu entendes tu serais ravi.
Le temps est tout radouci. As-tu
aussi le même. Figure toi que la vieille Alice s’est abimé l’œil en coupant du
bois. L’œil lui-même n’est heureusement pas atteint mais la paupière est en
marmelade. Le docteur vient de venir ; il m’a rassurée. Mais elle s’est
couchée toute dolente.
Nous t’envoyons nos meilleures
tendresses et moi toute l’affection de mon cœur qui ne vit que pour toi mon
fils bien aimé.
Ta mère affectionnée
Math P. Médard
[1] Anna Benoît (née Bertrand], la belle-sœur de Mathilde, était originaire de Bischwiller en Alsace.