Tes quatre cartes reçues hier soir
m’ont été une telle joie que j’ai aujourd’hui des ailes, j’en profite pr aller
voir Melle Herrmann[1]
et Suzie m’accompagnera avec Na pendant que Nounou lave. Ns venons de recevoir une lettre de tante Fanny ns
priant de venir le plus tôt possible. Ns avons été sur le point de décider le
départ pr cette semaine mais, après réflexion ns attendons que le temps soit
mieux établi afin que Na puisse jouir du plein air tout le jour et si Dieu le
permet ns irons donc du Samedi [25 mars]
au Lundi en huit. Tu calculeras pour adresser tes lettres là-bas afin qu’il n’y
ait aucun retard dans notre correspondance. Tu me donneras le plus de détails
possibles bien que je comprenne la peine que aies à m’écrire. Tant de choses
qui me passent par la tête que je voudrais savoir et au moment où je t’écris je
ne me le rappelle plus. Dis moi par le menu de quels travaux se composent vos
journées et surtout à quoi les tiennes sont employées dans les tranchées ?
à quelles heures tu dors, combien de temps ? En quoi consistent vos repas ?
Ce que tu aimerais que je t’envoie pr les compléter, ce que tu préfères parmi
les choses que je t’ai adressées. Peux-tu faire chauffer le contenu de
conserves ? Alors je t’enverrai des choses cuites que tu ferais
réchauffer. Veux-tu de petits réchauds ? du lait concentré pr mettre dans
ton café ? de l’argent ? les choses plus importantes viendront quand
je pourrai expédier par le chemin de fer en trois ou cinq kilos. Pr ce soir, je vais faire partir un peu de
confiture de chataignes. Pourquoi ne vois-tu jamais ton lieutenant ? C’est
il lui qui se tient à l’écart. Ne peux tu te faire connaître ? Quel est le
nom du général de brigade qui vs a visités ? Ta tranchée reçoit-elle des
projectiles ? dis-le moi, je t’en supplie ! Y a-t-il des
pertes ? Tante Fanny me dit que [Edouard] Houter navigue autour de Verdun. [Edouard] Picard de Salonique à Port Said, il en a assez. Houter charrie troupes
et pruneaux.
Rudy [Busck] est allé faire ses adieux Dimanche,
ravissant dit sa mère sous son bonnet de police. Il part pr Boulogne sur Seine
huit jours après formé à la traction il va au front. Tante Fanny est affolée.
Tes cartes lui ont causé un vrai plaisir.
Tu me fais peur en disant que tu
travailles sans casque ? Mon cheri c’est bien imprudent et je te supplie
de ne plus commettre d’imprudence. Pr tes hommes aussi c’est une grosse
responsabilité.
Tante Fanny me dit aussi la mort d’oncle
André Leenhardt. Il te faut écrire à oncle Fernand [Leenhardt]. Suzie m’attend. Je te quitte si heureuse
de te savoir à l’arrière. Hélas rien que pour trois jours encore. Repose toi
bien. Dors dans un lit. Oh ! si je pouvais veiller sur ton sommeil. Oh
combien je t’aime mon fils. Que Dieu te garde à mon amour.
Ta mère qui ne cesse de penser à toi
Math P Médard
[1] Il s'agit sans doute ici de Lina Herrmann, une cousine de Jacques Herrmann, et non d'Alice Herrmann, sa fille (et future épouse de Jean), que Mathilde n'appelle jamais "mademoiselle Herrmann".