mardi 15 mars 2016

Sète, 15 mars 1916 – Mathilde à son fils

Cette le 15 mars 1916
 


            Tes quatre cartes reçues hier soir m’ont été une telle joie que j’ai aujourd’hui des ailes, j’en profite pr aller voir Melle Herrmann[1] et Suzie m’accompagnera avec Na pendant que Nounou lave. Ns venons de recevoir une lettre de tante Fanny ns priant de venir le plus tôt possible. Ns avons été sur le point de décider le départ pr cette semaine mais, après réflexion ns attendons que le temps soit mieux établi afin que Na puisse jouir du plein air tout le jour et si Dieu le permet ns irons donc du Samedi [25 mars] au Lundi en huit. Tu calculeras pour adresser tes lettres là-bas afin qu’il n’y ait aucun retard dans notre correspondance. Tu me donneras le plus de détails possibles bien que je comprenne la peine que aies à m’écrire. Tant de choses qui me passent par la tête que je voudrais savoir et au moment où je t’écris je ne me le rappelle plus. Dis moi par le menu de quels travaux se composent vos journées et surtout à quoi les tiennes sont employées dans les tranchées ? à quelles heures tu dors, combien de temps ? En quoi consistent vos repas ? Ce que tu aimerais que je t’envoie pr les compléter, ce que tu préfères parmi les choses que je t’ai adressées. Peux-tu faire chauffer le contenu de conserves ? Alors je t’enverrai des choses cuites que tu ferais réchauffer. Veux-tu de petits réchauds ? du lait concentré pr mettre dans ton café ? de l’argent ? les choses plus importantes viendront quand je pourrai expédier par le chemin de fer en trois ou cinq kilos. Pr ce soir, je vais faire partir un peu de confiture de chataignes. Pourquoi ne vois-tu jamais ton lieutenant ? C’est il lui qui se tient à l’écart. Ne peux tu te faire connaître ? Quel est le nom du général de brigade qui vs a visités ? Ta tranchée reçoit-elle des projectiles ? dis-le moi, je t’en supplie ! Y a-t-il des pertes ? Tante Fanny me dit que [Edouard] Houter navigue autour de Verdun. [Edouard] Picard de Salonique à Port Said, il en a assez. Houter charrie troupes et pruneaux. 
            Rudy [Busck] est allé faire ses adieux Dimanche, ravissant dit sa mère sous son bonnet de police. Il part pr Boulogne sur Seine huit jours après formé à la traction il va au front. Tante Fanny est affolée. Tes cartes lui ont causé un vrai plaisir.
            Tu me fais peur en disant que tu travailles sans casque ? Mon cheri c’est bien imprudent et je te supplie de ne plus commettre d’imprudence. Pr tes hommes aussi c’est une grosse responsabilité.
            Tante Fanny me dit aussi la mort d’oncle André Leenhardt. Il te faut écrire à oncle Fernand [Leenhardt]. Suzie m’attend. Je te quitte si heureuse de te savoir à l’arrière. Hélas rien que pour trois jours encore. Repose toi bien. Dors dans un lit. Oh ! si je pouvais veiller sur ton sommeil. Oh combien je t’aime mon fils. Que Dieu te garde à mon amour. 
Ta mère qui ne cesse de penser à toi
Math P Médard 

[1] Il s'agit sans doute ici de Lina Herrmann, une cousine de Jacques Herrmann, et non d'Alice Herrmann, sa fille (et future épouse de Jean), que Mathilde n'appelle jamais "mademoiselle Herrmann".