jeudi 31 décembre 2015

Plélo, 31 décembre 1915 – Jean à sa mère

Plélo 31-12-15
            Maman cherie 

            Cette mer si calme cadre mal avec le caractère chaotique de cette côte, dont je t’ai parlé à mon dernier sejour.
            Je ne sais pas du tout comment remplir les journées de demain et de Dimanche. Ah ! si Cette était plus près. Temps exécrable ce matin, plus convenable ce soir.  Je suis maintenant tout à fait installé à Plélo. 

Jean

mercredi 30 décembre 2015

Plélo, 30 décembre 1915 – Jean à sa mère

Plélo, 30-12-15
            Maman cherie 

            Tu vois que je suis de nouveau à Plélo, toute la 30e Cie y a deménagé ce matin, et a chassé la 29me, qui elle, nous remplace à Châtelaudren.
            J’ai repris mon ancienne chambre. J’aurai ds l’ancien cadre de Plélo, la même vie qu’à Châtelaudren.
            J’ai reçu ce matin les photos.
            On ne parle pas encore de depart pour nous. Je viens de recevoir une longue lettre de Loux avec des tas de details interessants sur sa vie. Ils sont reçus lui et sa sœur [Madeleine Loux] par les Agassis. J’ai écrit à tante Jeanne [Beau, née Médard] et oncle Marc [Benoît].
            Je ne sais pas du tout ce que je ferai le 1 janvier et le 2. Je pense que je resterai ici.
Bien tendrement à vous tous 

Jean 

Cette carte vous arrivera en 1916. Nos vœux sont les mêmes : la victoire, la paix, le revoir.

mardi 29 décembre 2015

Châtelaudren, 29 décembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 29 Decembre 1915
            Maman cherie 

            Voilà la vie de depot qui recommence. J’ai encore trouvé un message de la maison, le paquet fait avec tant de soin. La galantine sent très bon. Je suis sur qu’elle sera bonne. Merci aussi pour tout le reste. Merci surtout pour ces bonnes bonnes heures que nous avons passées ensemble. Que c’est précieux, le foyer !
            J’ai fait un excellent voyage. A Paris très bonne journée, toujours le même programme. Repas à la faculté, visites à Mlle [Léo] Viguier, réunion avec les amis de la Federation. Ici nombreuse correspondance, lettres de [René] Cera, [Daniel] Loux, Mme Goguel [Jeanne Nyegaard épouse de Maurice Goguel], [Paul] Conord, etc., etc.
Bien tendrement à vous tous 

Jean

 

lundi 21 décembre 2015

Châtelaudren, 21 décembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 21-12-15
            Maman cherie 

            C’est avec le cœur bien gros que je t’ai envoyé ma dépèche de ce matin. La journée d’aujourd’hui t’aura apporté comme à moi une grosse deception. Oui, j’étais presque sur de cette permission qui me permettrait de passer avec vous la veille de Noël, et elle m’a été refusée. Voilà pourquoi. On a donné des permissions de 4 jours par serie 21 Dec.-24. 25-28. 30-2 Janvier. 3-6 Janvier. Comme aucune série ne me permettait de passer à Cette le 24, j’ai demandé une permission entre series, croyant que pour un gradé il n’y aurait pas de difficultés. Le commandant a refusé de la signer. J’en suis quitte pour demander une permission normale, la serie 25-28. Mais si on ne m’autorise pas à prendre le train du matin le 24, j’arriverai à Cette le 26 à 7 heures (au lieu du 25 à 11 heures) et repartirai le lendemain soir 27. Je trouve que ça vaut encore la peine. Qui sait quand nous nous reverrons autrement ?
            Tout ça bien entendu si je ne suis pas parti pour le front d’ici là.
            Si tu trouves que ce n’est pas raisonnable de venir à Cette pour si peu de temps, telegraphie moi ici jusqu’au 24. A Paris (Faculté 83 bd Arago) à partir du 24 au soir.
            Je suis fatigué ce soir, je vous embrasse tous bien tendrement et pense avec tristesse à cette Noël que je passerai encore loin de vous, mais près de vous par le cœur, et, peut-être, en route pour vous retrouver. 

Jean 

            J’espère pouvoir raconter de vive-voix ma belle journée de Dimanche à Perros-Guirec.

vendredi 18 décembre 2015

Châtelaudren, 18 décembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 18-12-15
            Maman cherie 

            Je ne sais pas exactement comment vont s’arranger les permissions pour la Noël, je ne suis même pas sur de ne pas être parti d’ici là sur le front, mais il n’est pas impossible non plus que je puisse venir à Cette pour 3 ou 4 jours. Si les choses s’arrangent comme je le voudrais, je serai à Cette Mercredi 22 Decembre à 11 heures du matin et j’en repartirai le 25 au soir, à 5 heures, 20 comme la dernière fois. Même si je devais avoir un jour de moins et n’arriver que le Jeudi, je viendrai. A moins que tu ne trouves que c’est une folie de faire pour 3 jours la depense d’un si long voyage ; mais je pense que tu trouveras au contraire comme moi que ça vaut bien la peine, de passer les fêtes ensemble.
            A bientôt peut-être la joie de t’embrasser. 

J. Médard

jeudi 17 décembre 2015

Châtelaudren, 17 décembre 1915 – Jean à sa mère

Vendredi 17 Decembre 1915
            Maman cherie 

            Je viens de recevoir ta bonne lettre du 14, merci beaucoup. Mon départ sera probablement plus lointain que ce que je pensais. Le 132e en a encore pour quelque temps avant d’être reformé ; mais si les hommes lui manque il est amplement pourvu de chefs de section. C’est dire qu’il est encore pour quelque temps au repos, et il n’aura pas de pertes pendant ce temps. Il n’est pas sur que nous soyons changé de regiment. Je ne sais donc pas ce qu’on va faire de nous.
Une de mes dents de sagesse me faisait mal. Je viens d’aller voir le dentiste, qui me l’a arrachée tout de suite. Je n’ai absolument rien senti. La carie était très avancée et un abcès n’aurait pas tardé à se produire. Je suis tellement content d’avoir ainsi été operé sans douleur que je lui ai demandé d’enlever l’autre de la même façon la semaine prochaine. Dentiste merveilleux.
Dimanche je pense aller à Perros-Guirrec. Pour Noël je ne sais pas combien de temps on aura.
Tendrement 

Jean

lundi 14 décembre 2015

Châtelaudren, 14 décembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 14 Decembre 1915
            Maman cherie 

            Depuis mon retour de permission mes messages ont été des plus laconiques, j’ai passé pourtant deux journées bien intéressantes, celle de Paris et celle de Paimpol.
            A Paris, comme je te l’ai dit j’ai vu Mme [Aline] Ménard Dorian. Elle ne s’est pas plaint de n’avoir rien reçu de nous et je ne lui ai rien dit à ce sujet. Nous avons surtout et longuement parlé de la guerre. Evidemment, malgrès sa fortune, ce n’est pas une bourgeoise. Elle a une ame de tendresse pour le peuple et en general pour l’homme. Aussi cette guerre est pour elle une epreuve particulierement grande. Avec ça elle est interessante et intelligente, bien que parlant avec trop de plaisir. Elle m a donné deux tubes, un que j’ai mangé : salade d’ananas au kirsch, l’autre du pate de volaille que je n’ai pas mangé. La presentation de ces repas est originale, on se demande  toujours s’il ne va pas sortir de ces tubes de la vaseline ou de la pate dentifrice, mais c’est très bon quand même. Elle m’a donné aussi, ce que tu apprecieras, toi, tout particulièrement des pastilles de chocolat à la Kola. 3 de ces pastilles ont la valeur d’un repas. Je n’ai pas eu le temps d’aller voir Mme [Marie] Hugues, ayant rendez-vous au cercle avec plusieurs amis.
            Je me suis décidé à aller à Paimpol ne sachant trop que faire de mon Dimanche. ça fait des frais, mais je suis pour peu de temps en Bretagne, je veux tirer du pays tout ce que je puis avant de partir. Donc je suis parti Samedi soir avec l’idée d’aller à Perros-Guirec. Mon itinéraire étant mal combiné, en route je me suis decidé pour Paimpol. J’y suis arrivé assez tard. Rien d’extraordinaire, un petit port Breton triste. Le soir à l’hotel, un type extraordinaire grand et brun parle de l’ile de Brehat, je lui dis que mon intention était d’y aller le lendemain, il y allait lui-même, je rejouis d’avoir un compagnon de route, me présentera à sa femme et à sa belle-sœur. Ns montons le lendemain matin ds une patache qui nous conduit à quelques maisons d’où on embarque pour l’ile. La route longue de 7 kil à des aperçus très beau sur la mer, mais je ne voyais tout cela qu’à travers un rideau de pluie, un vrai deluge. Mon compagnon de route de plus en plus exuberant raconte à chacun sa vie et ses aventures. Vie de colonie, il a vue l’Algérie, le Senegal, le Congo, l’Indo-Chine. Le plus fort c’est que je crois qu’il ne mentait pas. Il avait bien l’air de connaitre ces pays. Par-dessus le marché il est aviateur, au debut de la campagne il était automobiliste, il conduisait un colonel. Il s’est fait amocher, a reçu une balle ds la figure. Le fait est qu’on voit la cicatrice, que son nez est decollé, et qu’il enlève ses dents pour les montrer à tout le monde. Il m’amusait beaucoup plus qu’il ne m’était désagreable. Sur ces entrefaites nous arrivons à l’embarquadère, la pluie avait cessé. On attendait le bateau, une petite barque à voile. On embarque. Vent violent. Roulis et tangage. Traversée courte mais très amusante. Paquets de mer, cris des dames, etc. Ile assez plate balayée par le vent, on se demande comment elle n’est pas balayée par les vagues aux fortes marées, malgré ses étendus. Bloc granitique, mer verte, cote bleu, mouettes, rochers noirs, recifs, maisons basses. Mon compagnon m’amène au seul hotel de l’ile ouvert en cette saison. Il est reçu très mal par sa femme et sa belle sœur, genre un peu special pas absolument leger mais pas absolument comme il faut cheveux teints, la maman pourtant allaite un gosse. La belle sœur a 7 enfants. Ces deux femmes tombent sur le dos de mon pauvre ami et l’engeulent tout le long du repas. Elles le traitent carrement d’idiot et de crétin ; il a en effet demoli l’auto de sa femme et fait bien d’autres bêtises. Après déjeunes nous allons ns promener tous les deux dans l’ile. Mon aviateur monte sur une vieille tour dont il ne peut plus descendre. Je vais chercher une echelle ds une ferme voisine. Je repars à 2 heures ½. Traversée beaucoup plus calme. Retour à pied à Paimpol. Je tombe sur une fête religieuse. Procession dans les rues pavoisées. Promenade de bannières brodées, d’un bateau porté par de petits mousses, d’une grande sainte vierge. Tout le clergé, tout le pays suit en chantant un chant triste, les femmes en coiffe.
            A Guingamp je rencontre [Alfred] Bruneton tout seul sa femme [Elisabeth Médard, épouse Bruneton] étant rentrée à Paris, dine à l’hotel avec lui et quelques autres officiers. J’ai longuement causé avec lui. Très intelligent. Très gentil. Je l’aime mieux que sa femme.
            Ici la vie toujours la même. On ne parle pas de depart ces jours-ci. Il se trouve que le 132e est complètement reformé et qu’il ne manque pas de chefs de section. Résultat : je vais être envoyé dans un autre regiment. Il est en effet peu probable qu’on me laisse bien longtemps ici.
            Il n’y a pas à regretter d’avoir demandé une permission plus tôt. On tient toujours ça, peut-être je n’aurais pas pu l’avoir plus tard, et elle a été bien reussie.
Tendrement à toi

Jean

            J’ai écrit à tante Jenny [Scheydt, née Roux]. Je ne te parle pas de la mort d’oncle Charles [Scheydt], je le considérais comme mort à mon depart de Cette. Sous quelle forme faut-il faire la procuration que tu demandes ? Est-ce sur papier timbré ou sur une simple feuille ?
            Je ne me relis pas, j’ai trop sommeil. Excuse le décousu de cette lettre.

samedi 12 décembre 2015

Entre Paimpol et Guingamp, 12 décembre 1915 – Jean à sa mère

Ligne de Paimpol à Guingamp. 12 Decembre 1915
            Maman cherie 

            Je viens de passer une bonne et etrange journée de Dimanche. Je suis allé me promener tout seul à Paimpol. Parti hier soir, arrivé tard ds la petite ville Bretonne, j’en suis reparti tôt pour l’ile de Brehat. Trajet pluvieux en diligence, puis traversée très mouvementée en bateau à voile. Dejeuné ds un hotel de l’ile et promenade rapide à travers l’ile avec un compagnon de fortune à moitié toqué. Il est monté sur une vieille tour dont il ne pouvait pas descendre, je l’ai sauvé en allant cherchant une échelle. Je l’ai ensuite laissé dans l’ile à son malheureux sort, c’est à  dire avec sa femme et sa belle sœur qui lui disent des sottises et le traitent de crétin. Il s’appelle Mazoyer de la Garenne de Lambert[1]. Traversée de retour + calme malgrès le mauvais temps. A Paimpol fête religieuse, procession, très curieux. Je vais diner ce soir à Guingamp chez les Bruneton.
Rien de nouveau pour le départ
Tendresses

Jean

[1] Jean écrit Mazohier.

jeudi 10 décembre 2015

Châtelaudren, 10 décembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 10 Decembre 1915
            Maman cherie 

            Ma première pensée en arrivant ici est pour toi. Je n’ai encore vu personne et n’ai aucune idée sur la date du depart. Un bon voyage a terminé ces bonnes journées de paix et d’intimité. Hier matin je suis arrivé à Paris avec 2 heures de retard. J’ai pu quand même laisser mes affaires à la fac et courrir rue de Trévise pour prendre rendez-vous avec tous les amis. Dejeuner à la faculté presidé par Madame [Suzanne] Monnier, toujours aussi gentille, table bien vide. J’ai manqué de trois jours [Edmond] Mercier, et de 2 jours [Charles] Grauss en permission. Après dejeuner j’ai courru ches les W. [Wilfred] Monod avec qui j’ai encore pu passer une bonne heure. De là, rue de la Faisanderie, j’ai été reçu avec une cordialité qui m’a touché, suis resté assez longtemps. Elle [Aline Ménard-Dorian, une tante de Jean] m’a embrassé en me disant adieu et m’a donné des « pastilles à la kola ». Tu seras contente. De la à au cercle des etudiants où j’ai passé la soirée avec plusieurs amis reunis par Mlle [Léo] Viguier, [Roger] Jézéquel, Charles Westphal, [Frank] Suan, Mlle Kellermann etc. Diner à la faculté. A la gare Montparnasse j’ai encore trouvé Mlle Viguier toujours fidèle, et me voici, encore un peu abruti par le voyage.
Je t’embrasse tendrement 

Jean

Comment va oncle Charles [Scheydt] ? J’ai toujours devant les yeux le sourire de la petite.

dimanche 29 novembre 2015

Châtelaudren, 29 novembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 29-11-15
            Maman cherie 

            Je suis depuis Samedi ch. les « aptes ». J’ai donc demandé une permission pour Cette, et j’ai des raisons de croire qu’elle me sera accordée. C’est pourquoi je t’ai télégraphié pour te demander de l’argent. Je ne puis me procurer les horaires P.L.M. mais, suivant que je partirai d’ici Mardi soir ou Mercredi matin, j’arriverai à Cette Jeudi matin ou Jeudi soir. Je viens de subir ma dernière piqure ; je n’en souffre pas pour le moment. Hier delicieuse journée à Brest dont j’espère bien pouvoir te parler de vive voix. J’aurai au moins profité de mon sejour en Bretagne.
Je vous embrasse tous bien tendrement, y compris Léna naturellement, 

Jean

vendredi 27 novembre 2015

Châtelaudren, 27 novembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 27-11-15
            Maman cherie 

            Je reçois à l’instant ta lettre du 23. Je ne comprends pas que tu n’ai pas encore reçu une lettre que je t’ai envoyé Samedi pour te parler de mon passage à Châtelaudren. Il me semble au contraire que je t’ai ecrit assez souvent ces temps-ci. Ci-joint les discours dont je te remercie et deux cartes postales des ss-off. de la 19ème.

Jean au deuxième  rang, debout juste derrière le troisième homme assis à partir de la gauche.
            Rien de nouveau ici. Je pars ce soir pour Brest, où je passerai la journée de demain. Puisque [Adrien] Batailler ne veut pas t’examiner, va à Montpellier ; ça en vaut la peine, et consulte Rauzier ou [Joseph] Grasset, ou [Emile] Tedenat.
            Pour oncle Marc [Benoît] je vois à peu près quel genre de lettre il a pu t’écrire. Ne t’en affole pas. Ne lui reproche pas d’être pour toi un zero au pt de vue appui moral, ce serait envenimer les choses Dis-lui que tu ne comprends pas entre frère et sœur une susceptibilité pareille., que tu étais régulièrement tenue au courant de son état par tante Fanny et qu’avec la vie que tu mènes depuis un an, les secousses par lesquelles tu passes, tu as certainement le temps de penser à ceux que tu aimes, mais tu n’as pas toujours le temps de le leur dire ; que si tu ne lui ecris pas beaucoup il te le rend bien, et que tu n’as jamais eu l’idée de mesurer son affection au nombre de lettres que tu reçois de lui, etc.
            Tu peux lui faire un emploi de ton temps depuis le 1er Janvier de l’année dernière. Il a peut-être oublié que j’avais été blessé, que Suzanne a accouché, et qu’elle a été assez malade depuis, que tu es garde-malade. Tu peux lui presenter les choses moins aigrement que ce que je le fais ici mais tu sais que rien ne m’exaspère comme la susceptibilité.

Bien à toi

Jean

jeudi 26 novembre 2015

Châtelaudren, 26 novembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 26-11-15
            Maman cherie 

            Je vais décidement Dimanche à Brest. Je ne reviendrais probablement jamais en Bretagne, il faut en profiter pendant que j’y suis.
            Ta lettre m’inquiète un peu sur ta santé. Pourquoi ne consultes-tu pas [Adrien] Batailler ou même [Georges] Rauzier. Fais-le pour me faire plaisir et écris-moi vite le résultat de cette visite. A ce propos je pense que ns n’avons jamais écrit à Rauzier après ma consultation pour lui proposer quelque chose. Il faut le faire.
            Ici toujours la même vie. Merci de m’avoir envoyer les discours prononcés sur la tombe de Pierre. Je te les renverrai dans ma prochaine lettre.
Bien à toi 

Jean

mercredi 25 novembre 2015

Châtelaudren, 25 novembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 25-11-15
            Maman cherie 

            Je viens de recevoir ta bonne lettre du 21. Merci beaucoup. Je vis avec vous et puis vous suivre à chaque heure, comme ds aucune periode de ma vie loin de la maison. Je ne sens plus du tout ma 3ème piqure. Il faut en subir encore une autre avant d’avoir le compte. Tu me proposes de l’argent. Je ne dis pas non. Envoie-moi 50 frs. J’ai pour le moment tout ce qu’il me faut ; mais je voudrais avoir quelque chose devant moi dans le cas où j’aurais une permission subite pour le Midi, pour payer mon voyage. Lestringant a été en effet blessé ; il est actuellement en traitement à Troyes et va mieux.
            Je pense avec tendresse à vous tous 

Jean

Sète, 25 novembre 1915 – Mathilde à son fils

Villa de Suède, 25 Nov. 1915
            Mon enfant chéri 

            Tout en m’attendant chaque jour au changement que tu m’annonces, il me trouve un peu désemparée : bien que je veuille être brave et ma foi je n’ai pu t’écrire tout de suite. Je ne suis tjours pas très très bien, toute vaillante et un peu troublée cela passera je l’espère.
            Je voudrais bien que ta vie à Châtelaudren se poursuive encore quelque temps. Pourquoi partirais-tu tout-de-suite ? A-t-on achevé sur toi la série des piqûres ou a t on fait comme à Pont St Esprit ? cela ne vaudrait vraiment pas la peine de te rendre malade pr rien.
            J’ai grand souci que tu n’aies pas ce qu’il te faut pr te protéger du froid. Chaussettes, passe-montagne ? tante Fanny devait les faire. Je vais lui écrire à cet effet. Ton manteau de caoutchouc est-il suffisant ? Il paraît qu’il est indispensable qu’il soit fort et solide. Rudy [Busck] prétend que cela l’a préservé de la mort mille fois. Ainsi n’hésitons pas s’il en faut un plus fort. [François] Jaujou me disait qu’il portait 4 jours deux paires de chaussettes de laine l’une sur l’autre et qu’il enduisait la première de vaseline. Retiens bien ceci c’est bien important. J’ai fini une paire de chaussettes mais en laine fine justement pr les porter avec d’autres plus fortes. Dois je te les envoyer ?
            Je suis allée ce soir chez tante Anna ayant appris par Jenny [Scheydt] l’arrivée intempestive de Lucien [Benoît] en permission de sept jours. Je craignais que ce fut un mauvais son de cloche peut être l’annonce d’un départ pr la Serbie, mais il n’en est rien. Les permissions se renouvellent ; la sienne s’est trouvée en ce moment parce qu’il est un des anciens sur le front. Tante Anna en est toute heureuse bien qu’il n’y ait plus de vraies joies chez elle. Je l’ai trouvée en route avec ses filles. Elle m’a accompagnée un bout de chemin.
            J’avais été à cinq heures avec Suzie prendre le thé chez les Pont. Mr Pont étant venu nous chercher. Hier ns avons eu a déjeuner deux messieurs Suisses l’un de Bâle l’autre de Zurich ; ils sont ici envoyés par leur gouvernement pr surveiller les transferts en Suisse. Ils ns ont parus bien francophiles et ont l’impression que rien ne bat plus que d’une aile en Allemagne alors qu’ils ne trouvent rien de changé en France. Comme j’écoute d’une oreille complaisante ces propos là mais nous n’en voyons pas encore les effets !!
            J’ose à peine te dire la joie que j’aurais à t’embrasser avant ton départ : j’ai trop peur d’une déception ! Je t’en supplie mon bien aimé, fais tout le possible pr obtenir cette permission.
            Parle-moi aussi de tes camarades. Y en a-t-il de vraiment sympathiques ?
            Alice H [Alice Herrmann] écrivant ce soir à Suzon lui parle longuement de Mr Bois[1] dont elle est absolument emballée ; elle avoue qu’il passe parfois au-dessus d’elle et qu’elle souffre alors de ne pouvoir le suivre mais elle admire sa foi d’apôtre et sa largeur d’esprit qui se combinent si bien. J’aurai voulu être assez libre pour aller une fois l’entendre.
            Tout marche mieux ici.
            Suzie a repris doucement son ménage. Elle se lève encore tard mais s’occupe le reste du jour de tout avec interêt. Léna oh ! Léna c’est un rêve. Il est impossible d’essayer de depeindre son charme. Pendant que nous dejeunions ce matin, on l’entendait jacasser à la cuisine sur les genoux d’Alice et ses cris de joie remplissent la maison de joie. Que ce serait triste sans elle ! Mais c’est triste sans toi oh combien !!!
            Adieu mon cher grand trésor. Je t’aime et je souffre bien. Ci-joint la lettre d’oncle Marc [Benoît]. Dis moi vite ce que je dois répondre. Je t’embrasse bien fort. 

Ta mère aff.

[1] Henri Bois (1862-1924). Théologien protestant, professeur à la faculté de théologie de Montauban. Alice Herrmann a correspondu régulièrement avec lui pendant sa jeunesse.

mardi 24 novembre 2015

Châtelaudren, 24 novembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 24-11-15
            Maman cherie 

Source : NotreFamille.com
            Cette fois-ci la piqure s’est beaucoup mieux passée. J’ai été piqué Lundi après-midi, n’ai ressenti qu’un jour la douleur à l’épaule, et n’ai pas eu de fièvre. Je suis très bien installé ici. Le village est beaucoup plus important que Plélo, un vrai bourg, avec quelques ressources. C’est aussi très différent et très joli : un étang domine le village, entouré de grands arbres. Un ruisseau sort de l’étang, forme cascade, traverse le village et fiche le camp dans un joli vallon. Il y a deux eglises, l’une très interessante, avec de très vieilles fresques. J’habite une petite rue ds le quartier du bourg où est cantonné ma compagnie. La chambre que j’ai louée, et où je suis aussi indépendant qu’à Plélo, est petite, il y a le strict nécessaire, mais j’y suis très bien, et elle est juste la moitié moins chère que l’autre. Je tombe toujours sur de braves gens. Ma propriétaire une vieille de 86 ans qui chauffe toute la journée ses vieux os au feu de bois de la cuisine, sa fille qui peut bien avoir 60 ans, ce qui n’empêche pas qu’on l’appelle ds le pays une « jeune fille » parce qu’elle n’est pas mariée. Notre popote de ss-off. est bonne, pas très différente de celle de Plélo. Les ss-off y sont beaucoup moins nombreux, ce qui est un avantage.
            J’aurai mon temps beaucoup plus absorbé à cause de l’exercice, auquel il me faudra assister très regulièrement et prendre une part active. J’aime autant ça.
            Pour le moment d’ailleurs je n’ai pas fait grand-chose. Après la piqure on est exempt de service 24 heures. Le lundi je me suis couché très tot et ai lu assez tard dans mon lit. Le lendemain, je me suis levé très tard et ai consacré encore toute la journée à des lectures serieuses. J’ai fini les deux bouquins que tu m’as envoyé, independemment d’autres. Je verai peut-être un autre jour de t’en demander encore, mais je ne crois pas que ma vie ici me permette normalement d’abattre autant de besogne intellectuelle. J’ai abattu celui-ci avec une grande facilité, et une liberté d’esprit dont je ne me croyais pas capable maintenant.
            Je t’ai fait entrevoir la possibilité d’une permission de 4 jours immédiatement avant le depart pour le front. Elle ne sera pas nécessairement accordée, mais l’aspirant de La Morinerie qui va partir en a obtenu une etant ds les mêmes conditions que moi.  Ne t’attache pas quand même trop fortement à cet espoir.
            Je n’ai pas encore de projet très fixe pour Dimanche prochain. J’irai peut-être à Brest, qui n’est pas trop loin. Cette idée m’est venue par une carte de Mlle [Yvonne] Allais me demandant si je ne pousserais pas jusque là. Mlle Alais est l’étudiante de Paris, que j’ai vu à Cette chez Mlle Kellerman peu de temps avant mon depart. Elle est agrégée d’histoire, et est professeur pour le moment au lycée de garçons où elle fait la classe à des types de 3e et de 2e. Ce ne doit pas être une sinécure.
            Adieu, maman cherie, je pense bien à vous tous et vous embrasse bien tendrement. 

Jean

samedi 21 novembre 2015

Châtelaudren, 21 novembre 1915 – Jean à sa mère

Châtelaudren 21 novembre 1915
            Maman cherie 

            Un mot un peu rapide : comme tu le vois par l’en tête de ma lettre j’ai changé de patelin et de compagnie. Ci-contre ma nouvelle adresse. Je ne suis pas encore parti pour le front mais mon depart approche puisque me voici en première categorie. J’aurai ici une vie plus interessante qu’à Plélo, au point de vue militaire, plus absorbée aussi. J’ai quitté non sans peine mes amis de la-bas et ma brave propriétaire. Ici  j’ai trouvé une chambre beaucoup moins bien, mais bien meilleur marché.
            Hélas ! la perspective de vacances à Noël me parait bien impossible. Je ne serai plus ici à ce moment là probablement, et même alors… Ce que je pourrais peut-être avoir peut-être, c’est une permission de 4 jours (sans compter le voyage) quelques jours avant le depart. Nous en reparlerons. Ce serait si bon de pouvoir encore s’embrasser.
            Samedi après-midi j’ai amené 100 hommes de la 29ème à la 30ème. Je me suis amené moi-même, ai retenu une chambre pour la modique somme de 15 fr. par mois. Le soir je suis parti pour Roscoff où j’ai retrouvé une dernière fois J. [Jean] Lichtenstein, avec joie. J’ai diné avec lui, couché à l’hôtel. Le lendemain matin ns sommes partis à pied pour St-Pol-de-Léon par une triste route Bretonne. J’ai admiré là les plus beaux clochers de Bretagne. Nous en sommes repartis à 11 heures. Il m’a payé un bon repas ds le meilleur hotel de Morlaix. Nous avons passé une bonne après midi un peu melancholique de promenade et d’intimité. A 6 h ½ ns ns sommes quittés, je me suis arrête à Guingamp où j’ai été toujours cordialement reçu par les Bruneton, et suis rentré assez tard ds ma petite chambre.
            Le matin au tir avec la compagnie, nombreux officiers et ss-offs assez sympathiques.
            J’ai reçu ta bonne lettre du 16.
            Je vous embrasse tous bien tendrement. 

Jean

mardi 17 novembre 2015

Plélo, 17 novembre 1915 – Jean à sa mère

Plélo, 17 novembre 1915
            Ma chère maman 

            J’ai reçu ta lettre du 11 et aujourd’hui celle de Suzie du 14. Je pense que vous me croyez beaucoup plus malheureux que ce que je suis. Puisqu’il me faut passer par la periode de Depot et étant donné la vie de Depot je suis aussi heureux que possible. Tellement tranquille ! ennuyé par personne. N’ayant pas de travail militaire, mais ayant justement du temps à moi, une chambre où je puis lire, écrire et travailler pour moi : je suis un privilégié. Je réponds à tes questions. Guingamp est à 15 kil. d’ici. Ma course de l’autre jour loin de me fatiguer m’a fait beaucoup de bien et de plaisir.
            Les Bruneton sont en effet très gentils pour moi. Leur adresse : Villa Lalouette Guingamp. Côtes du Nord. Le père mort [Edouard Médard (1832-1915) père d’Elisabeth Bruneton, née Médard], on en parle jamais. Pourtant elle a bien dit sans aucune amertume d’ailleurs, qu’elle n’avait rien reçu du Midi au moment de la mort de son père, et de personne. Que son frère [Edmond Médard (1863-1946)] seul lui donne quelques nouvelles.
            Je viens de recevoir ma deuxième piqure et ai passé la journée d’hier au lit. Moins de fièvre que la 1ère fois.
            Pourquoi regretter que je ne me sois pas fait piquer à Cette. Il aurait fallu recommencer ici, pour que ce soit fait officiellement, et 8 piqures. Non merci. Ça me fatigue un peu 2 ou 3 jours après la pique et je me repose.
            Mes hommes, je ne m’en occupe pas du tout. C’est très difficile et je n’ai pas le courage. Je suis honteux d’ailleurs. Si je m’en occupais il faudrait y donner tout mon temps. Je suis d’ailleurs ici encore pour bien peu de temps probablement.
            Je t’ai écrit que j’avais eu Jean [Lichtenstein] Dimanche. J’ai passé avec lui une bien bonne journée. Nous avons joui de ce pays qui a vraiment du charme.
            Le matin je l’ai conduit à un vieux château XXVIIe siecle absolument abandonné et perdu au milieu du bois. Grandeur triste. Des fougères poussaient partout sur les balcons, dans les interstices des fenêtres, et pas un être vivant. Ma brave proprio nous a fait dans la cuisine un bon petit repas frugal et tandis qu’elle allait aux vepres nous sommes restes à nous chauffer auprès d’un bon feu de bois. Nous avons failli manquer son train ayant fait un long detour pour retourner à Châtelaudren. Il parait que son directeur de Roscoff, qui est aussi médecin, l’a ausculté et ne l’a pas trouvé trop mal. Malgrès tout il s’est decidé à quitter la Bretagne et j’en suis heureux pour lui. A Montpellier il se soignera mieux. Il part dans 8 jours. Aussi j’irai passer ce dernier Dimanche à Roscoff avec lui. Tout ça finit par couter de l’argent, mais je n’ai pas encore absolument épuisé, ce que j’ai gardé de mon indemnité.
            Je viens d’écrire à oncle Fernand [Leenhardt] une longue lettre lui donnant des details sur la mort d’un sergent du 132, tué en Champagne, dont il connait très très bien la famille. La famille n’est pas encore avertie de la mort. Je ne sais pas si oncle F. se chargera d’annoncer la nouvelle.
            Ma propriétaire est toujours brave pendant que je t’écris elle m’apporte deux pommes cuites. C’est une ame simple et bonne.
            Je viens de rencontrer ds la rue le ss-lieutenant Demart, avec qui j’avais dejeuné avant d’être blessé, qui m’a fait transporter ds l’abrit où j’ai passé la nuit. Il a été bien inspiré. Il me dit que 3 minutes après mon depart, à la place même où j’étais couché est tombée une torpille. C’est ce fait qui a fait raconté à certains ma mort avec details macabres : mes restes rapportés dans une musette. Ne fremis pas ce n’est pas vrai
Je t’embrasse, Maman chérie, 

Jean 

            Merci à Suzon pour sa lettre, à elle ma prochaine.