Plélo,
17 novembre 1915
Ma chère maman
J’ai reçu ta lettre du 11 et
aujourd’hui celle de Suzie du 14. Je pense que vous me croyez beaucoup plus malheureux
que ce que je suis. Puisqu’il me faut passer par la periode de Depot et étant
donné la vie de Depot je suis aussi heureux que possible. Tellement
tranquille ! ennuyé par personne. N’ayant pas de travail militaire, mais
ayant justement du temps à moi, une chambre où je puis lire, écrire et
travailler pour moi : je suis un privilégié. Je réponds à tes questions.
Guingamp est à 15 kil. d’ici. Ma course de l’autre jour loin de me fatiguer m’a
fait beaucoup de bien et de plaisir.
Les Bruneton sont en effet très
gentils pour moi. Leur adresse : Villa Lalouette Guingamp. Côtes du Nord. Le
père mort [Edouard
Médard (1832-1915) père d’Elisabeth Bruneton, née Médard], on en parle jamais. Pourtant elle a bien dit sans aucune amertume
d’ailleurs, qu’elle n’avait rien reçu du Midi au moment de la mort de son père,
et de personne. Que son frère [Edmond Médard (1863-1946)] seul lui donne quelques nouvelles.
Je viens de recevoir ma deuxième
piqure et ai passé la journée d’hier au lit. Moins de fièvre que la 1ère
fois.
Pourquoi regretter que je ne me sois
pas fait piquer à Cette. Il aurait fallu recommencer ici, pour que ce soit fait
officiellement, et 8 piqures. Non merci. Ça me fatigue un peu 2 ou 3 jours
après la pique et je me repose.
Mes hommes, je ne m’en occupe pas du
tout. C’est très difficile et je n’ai pas le courage. Je suis honteux
d’ailleurs. Si je m’en occupais il faudrait y donner tout mon temps. Je suis
d’ailleurs ici encore pour bien peu de temps probablement.
Je t’ai écrit que j’avais eu Jean [Lichtenstein] Dimanche. J’ai passé avec lui une bien bonne
journée. Nous avons joui de ce pays qui a vraiment du charme.
Le matin je l’ai conduit à un vieux
château XXVIIe siecle absolument abandonné et perdu au milieu du
bois. Grandeur triste. Des fougères poussaient partout sur les balcons, dans
les interstices des fenêtres, et pas un être vivant. Ma brave proprio nous a
fait dans la cuisine un bon petit repas frugal et tandis qu’elle allait aux
vepres nous sommes restes à nous chauffer auprès d’un bon feu de bois. Nous
avons failli manquer son train ayant fait un long detour pour retourner à Châtelaudren.
Il parait que son directeur de Roscoff, qui est aussi médecin, l’a ausculté et
ne l’a pas trouvé trop mal. Malgrès tout il s’est decidé à quitter la Bretagne
et j’en suis heureux pour lui. A Montpellier il se soignera mieux. Il part dans
8 jours. Aussi j’irai passer ce dernier Dimanche à Roscoff avec lui. Tout ça
finit par couter de l’argent, mais je n’ai pas encore absolument épuisé, ce que
j’ai gardé de mon indemnité.
Je viens d’écrire à oncle Fernand
[Leenhardt] une longue lettre lui donnant des details sur la mort d’un sergent du 132, tué
en Champagne, dont il connait très très bien la famille. La famille n’est pas
encore avertie de la mort. Je ne sais pas si oncle F. se chargera d’annoncer la
nouvelle.
Ma propriétaire est toujours brave
pendant que je t’écris elle m’apporte deux pommes cuites. C’est une ame simple
et bonne.
Je viens de rencontrer ds la rue le
ss-lieutenant Demart, avec qui j’avais dejeuné avant d’être blessé, qui m’a
fait transporter ds l’abrit où j’ai passé la nuit. Il a été bien inspiré. Il me
dit que 3 minutes après mon depart, à la place même où j’étais couché est
tombée une torpille. C’est ce fait qui a fait raconté à certains ma mort avec
details macabres : mes restes rapportés dans une musette. Ne fremis pas ce
n’est pas vrai
Je t’embrasse, Maman chérie,
Jean
Merci à Suzon pour sa lettre, à elle
ma prochaine.