Villa
de Suède, le 6 novembre 1915
Quelle bonne lettre que celle reçue
hier ! elle a un peu compensé la longue attente ! du Samedi au Vendredi
c’était bien long ! heureusement tu n’étais pas au front et je te sentais
heureux d’aller à Paris, puis d’y être, et enfin d’en rapporter des souvenirs
lumineux. Je ne me suis point trompée. A mon tour j’ai été peu fidèle. Mais
toujours peu libre aussi. Ces jours ci ce qui a apporté le temps c’est un
changement de régime chez Léna ! Fort heureusement le docteur [Adrien] Batailler est venu en convalescence à
Cette. Il a fait une longue visite d’ami[1]
Mardi puis une sérieuse de docteur avant-hier. Pour Suzie il a déclaré qu’il y
avait eu fièvre purpurale et qu’il fallait longtemps de grands ménagements. Il
a prescrit cependant qu’elle fasse un peu d’exercice et j’ai conduit les
premiers pas, tout à l’heure devant la porte puis sont arrivés Laure qui
faisait à Suzie sa première visite et Elisabeth Julien qui venait faire ses
adieux partant pr Cransac. Pour Léna, ns faisions fausse route, parait-il et
donnions le biberon à trop forte dose. Il a voulu essayer si le lait de la
mère, donné toutes les deux heures, ne suffisait pas et si, tiré ainsi, il
n’arriverait pas en quantité suffisante. Ns avons passé avant-hier une terrible
journée. Léna a crié tout le jour, se refusant à prendre sa mère. Hier et
aujourd’hui cela va bien mieux et tout parait marcher normalement. Ce sera bien
mieux et les difficultés s’arrêtent là.
Je reprends mon épître à la fin de
notre journée de Dimanche toute semblable aux autres et tout aussi laborieuse
puisque je ne puis prendre la plume que ce soir avant d’aller chez tante Anna.
Les jours s’améliorent de plus en
plus. Hier Suzie et moi etions tristes, très tristes, le ciel s’est rasséréné
en touts tort peu : Léna s’est décidément réconciliée avec le sein de sa
mère et parait y prendre un gout réel. Oh ! que je voudrais te faire jouir
d’elle, elle est exquise de grace et de bonne humeur. Je riais aux larmes tout
à l’heure en la voyant se promener un chrysanthème sur la figure (ce qu’elle
trouvait très mauvais et la mettait fort en colère, mais elle recommençait avec
ardeur le tenant dans sa menotte avec frénésie).
Que fais-tu aujourd’hui ? Que
je voudrais te sentir un véritable ami. As-tu du plaisir par tes deux
camarades ? Batailler
a bien regretté de n’avoir pu te recommander à un de ses amis pr passer la
visite que tu as passée ici. Il t’aurait parait il versé dans l’auxiliaire.
Mais à quoi bon les regrets. Tu lui en aurais voulu si tu l’avais vu et prtant,
moi, cette pensée me poursuit et me fait mal.
Hugo a été ce matin à
l’ensevelissement de la femme du directeur des Transatlantiques qui vient de
mourir du même mal que Suzie compliqué d’une peritonite. Elle laisse trois
petits enfants. C’est atroce et je ne puis penser qu’a cela en remerciant Dieu.
Je te quitte pr ce soir en
t’envoyant toute ma tendresse. Ecris moi bientôt je t’en prie. As-tu reçu mon
colis ?
Ta maman qui pense à toi sans cesse
[1] Adrien
Batailler (1876-1922) était le mari de Marie Julien, fille de Néri Julien et
Jeanne Jalabert, membres de la paroisse protestante de Sète et amis de
Mathilde.