Villa
Svéa ce 11 Octobre 1916
Mon grand aimé
Ce matin tes deux cartes des 6 et 9.
J’étais profondément heureuse car j’avais lu hier jusqu’à minuit sur la reprise
de l’offensive (front français) depuis le 7 prise de cote…. et je me demandais
si tu n’étais pas à cet assaut.
Tu me dis que vous n’êtes plus là pour
longtemps et cela me donne un peu de courage.
Avec toi je suis triste de ce changement à la 6ème car je
sais combien attaché tu étais à tes hommes. Je pense aussi avec sympathie à
leur peine à eux. Mais peut être a-t-on jugé que ton influence, ton action sur
eux ayant porté, il fallait t’envoyer ailleurs… faire du bien toi qui porte
avec toi la paix, la soumission, la confiance, la paix surtout et j’ai
l’espérance que Dieu t’accompagnera la et te protègera comme il l’a fait à la 5ème
néanmoins je suis triste de ta tristesse.
Tu n’as donc pas encore reçu mon
paquet ni mon manteau ? Ce qu’il me tarde de le savoir ! et mes
lettres (si peu en rapport avec ce que je sens et voudrais t’exprimer) les
reçois-tu tous les jours ? car j’écris un mot tous les jours.
Enfin j’ai fait hier cette visite
que j’appréhendais si fort. Je suis restée 2 heures auprès de cette pauvre amie
et suis sortie de là plus forte que je n’y étais entrée.
Tante Fanny m’avait parlé de
l’exterieur de la femme (une Impératrice portant fièrement sa belle tête jeune
aux cheveux tous blancs) j’étais un peu intimidée et bien émue. J’étais
attendue et elle m’a mise sur son cœur et m’a longuement embrassée en
m’appelant sa sœur. J’étais si ébranlée que je ne pouvais plus rien dire – mais
elle se possède, elle est si forte si sereine que j’ai taché de me ressaisir.
Il faut être aussi forte et courageuse qu’eux m’a-t-elle dit mais on sent que
l’abime s’est ouvert devant elle. Elle est théosophe de sorte que j’ai été
embarrassée pr lui parler de la seule chose « necessaire » de l’amour
de Dieu qui console toutes les afflictions. Mais elle m’a dit qu’une force pr
elle très grande était de sentir intensément l’âme de son bien aimé Edouard
unie à la sienne – plus encore dans la mort que dans la vie car la vie la lui
aurait prise un peu.
Elle m’a beaucoup demandé et beaucoup
questionnée sur notre rencontre à Chartèves. Etait-il triste lui toujours si
gai, si entrain ? J’ai du lui dire que je ne l’avais pas vu très
gai ; mais si aimable, si gentil, si beau me parlant d’elle avec tant
d’affection et d’admiration et cela lui a tant fait plaisir.
Son ami intime à lui lui a dit que Gétaz
avait le sentiment qu’il ne reviendrait pas. T’a-t-il exprimé ce
sentiment ? Elle m’a montré des tas et des tas de photos où tu es sur
quelques unes et que je n’ai pas. Elle me prie de te dire sa reconnaissance
pour tout ce que tu as fait ; si émue en sachant que tu avais été sur
cette tombe. Elle attend ta lettre très anxieusement. Sur certaines de ces
photos il y a les dames parisiennes rencontrées à Chartèves et sur lesquelles
on taquinait ce pauvre Gétaz.
Le père est effondré ; et sa
femme le plaind profondément. Il y avait eu de telles luttes m’a t elle dit. Il
ne voulait pas qu Edouard fut français et son fils aimait tellement la France
qu’il a du causer à son père cette douleur d’opter et je suis sûre que s’il s’était
senti mourir, il aurait été heureux de donner sa vie pour elle.
Elle m’a dit hier des choses que je
voudrais te repeter. Lorsqu’il était en danger, elle le sentait et lui avait
dit : Dans ce moment-là « pense à moi » tu me sentiras près de
toi. (Comme je voudrais que tu puisses me sentir près de toi).
Mr Bruguière a été le lui
dire le Lundi soir après souper lorsque je l’ai vu entrer m a-t-elle dit j’ai
établi une relation entre vous et lui et j’ai compris ! Ns étions entrain
de relire la dernière lettre d’Edouard pendant qu’il était en réserve dans un
bois.
Il parait que vs avez été dans un
village ayant pr nom « Marseille » ? Il me tarde maintenant que
tu puisses écrire à cette pauvre mère, mais je te plains, mon bien chéri
d’avoir à remplir ce devoir. Elle sait que son fils t aimait beaucoup. Je pense
y retourner dans quelques jours, mais, dès que je te saurai « au
repos » je retournerai à Cette où j’ai hâte de me retrouver avec les tout
miens.
Je porte suspendu à mon cou une
croix huguenote toute semblable à la tienne et cela m’est doux.
Je te quitte pour aller en ville, je
profite pr faire des courses des jours où tu écris, j’ai des ailes que notre
Père te soutienne et te garde.
Je t’envoie des millions de baisers.
Ta mère
Ici chacun t’envoie ses tendresses. Nous
vivons tous bien que de tes maux moi sans cesse [?]
De
tendres bien tendres baisers de ta mère
Tante Fanny va mieux mais ses forces
ne reviennent pas, elle est découragée.
Un
record, je reçois ce soir ta carte du 8. Merci mon bien aimé.