lundi 31 octobre 2016

Front de Somme, 31 octobre 1916 – Jean à sa mère

31-10-16
            Maman cherie, 

            J’espère bien recommencer demain le programme de Dimanche. Pour le moment je pars pour l’exercice.
Toujours très tendrement  

Jean

dimanche 30 octobre 2016

Front de Somme, 30 octobre 1916 – Jean à sa mère

30-10-16
            Maman cherie, 

            Hier journée épatante, j’ai entendu Wilfred à l’oratoire, revu Mlle [Léo] Viguier, [Albert] Léo qui se trouvait là par hasard, décoré de la médaille militaire. J’ai déjeuné chez Suzanne de Dietrich et diné chez le frère de Léo. J’ai revu aussi Ch. [Charles] Westphal, [Roger] Jézéquel, J-B. Couve, etc, etc, ….
            Je te raconterai tout ça en detail une autre fois. J’espère pouvoir recommencer un de ces jours. Reçu ta bonne lettre du 26. Je me tarde de savoir si tu es à Cette ou à Marseille.
Tendrement 

Jean

samedi 29 octobre 2016

Marseille, 29 octobre 1916 – Mathilde à son fils

Villa Svéa ce 29 Octobre 1916
            Mon bien aimé 

            Un triste temps d’automne, une vraie Toussaint toute imprégnée de noire mélancolie ; les feuilles tourbillonnent et jonchent le sol ; il pleut, il fait froid, et, le cœur est serré de toute cette tristesse des choses.
            Je viens d’écrire à Suzie que je différais encore mon retour, qu’elle ne m’attende pas mardi car je suis dans l’espoir d’un beau rayon de soleil que j’attends pr rechauffer mon pauvre cœur – tâche qu’il rayonne bientôt. Il me tarde maintenant de rentrer, mais ici on se réjouit tant de te voir et ton ami aura une plus belle vision du midi à Marseille qu’à Cette. Il verra aussi beaucoup de Serbes, d’Anglais et d’Anamites, ils pullulent on ne peut circuler dans les rues.
            Ce matin j’ai accompagné les enfants à l’école du Dimanche que Bruguière présidait et pr les faire marcher nous sommes revenus par la Corniche et le Prado, tu vois quelle bonne et belle course j’ai faite, il faisait encore beau temps du moins au début. Ce soir je vais entraîner Axel chez les Sylvander écœurée qu’il ait ainsi abandonné son vieil ami gâteux tjours lui si fidèle jusqu’à la maladie. Cela ne me fait pas grand plaisir de sortir, mais je le fais pour son bien.
            Je suis heureuse que tu aies pu passer ta journée de Dimanche à Amiens. Où la passes-tu aujourd’hui ? J’ai reçu ta carte de ce jour par Suzie. Ils sont bien at home. C’était hier la fête d’Hugo, je l’ai oubliée.
            Bons baisers d’une maman qui grille d’embrasser son fils.

vendredi 28 octobre 2016

Front de Somme, 28 octobre 1916 – Jean à sa mère

28-10-16
            Maman chérie, 

            Je vais partir pour A [Amiens]. Et j’y passerai la journée de demain, comme Dimanche dernier. Ce n’est pas que je m’y amuse beaucoup, mais la vie est si triste ici dans la boue. Là-bas je depense bêtement de l’argent car les s/lieutenants du 132e ne se plaignent rien et la vie est chère. J’ai d’ailleurs de l’argent + qu’il ne m’en faut et t’en enverrai ces jours ci ds le cas où ma permission serait retardée. C’est absolument immoral cette différence de solde entre le soldat et l’officier.
Très tendrement  

Jean

mercredi 26 octobre 2016

Front de Somme, 26 octobre 1916 – Jean à sa sœur Suzanne Ekelund

26-10-16
            Ma Suzon chérie 

            Je reçois tes bonnes lettres des 18 et 20. Oui, j’ai reçu tes paquets de lainage par la poste, je croyais t’en avoir remercié.
            Tu le sais, ma permission est retardée. D’après ce que me dit maman je pense la passer à Cette via Marseille, où j’embrasserai tante Fanny. Il me tarde revoir le petit phénomène, de vous revoir tous d’ailleurs.
Tendrement  

Jean

Front de Somme, 26 octobre 1916 – Jean à sa mère

26-10-16
            Maman chérie, 

            Comme c’est difficile de communiquer à distance, surtout là où il faudrait une véritable conversation avec demande et reponse ; je viens de recevoir tes lettres du 20 et du 21. Eh bien ! c’est entendu. S’il n’y a pas contre ordre de ta part, nous prendrons, [Roger de] La Morinerie et moi, le rapide jusqu’à Marseille, où ns passerons une journée, lui à revoir la ville et moi à vous revoir ; nous repartirons de là pour Cette le lendemain ou ds la nuit et j’y finirai ma permission. Seulement, car il y a un seulement, cette permission partira au plus du 7 ou 8 novembre, et encore elle n’est pas absolument sure.
            S’il ne t’est pas possible de rester à Marseille jusqu’à ce moment là, rentre à Cette tout de suite, et de là tu ns accompagneras à Marseille, où je passerai au contraire le dernier jour de ma perm. Je tiens moi-même absolument à voir tante Fanny.
            Ds ce dernier cas, avertis-moi à l’avance pour que je sache si je dois te trouver à Marseille ou à Cette. Si tu crois que la lettre ne me parviendrait pas assez tôt, écris à Paris, et Mlle [Léo] Viguier que je verrai de toute façon au passage me dira ds quelle direction je dois partir. En tout cas, sauf contre ordre, je filerai droit sur Marseille.
            Maintenant, il y a la question de la maison. A distance il m’est bien difficile de te donner même des conseils. La guerre se charge si bien de demolir les plans d’avenir que le mieux serait de laisser filer les choses comme elles sont, surtout si la maison est louée et que tu rentres ds tes frais de loyer
            D’autre part s’il t’est difficile, ou même impossible, de refuser ce que Mr Caffarel te demande – et je comprends que ça peut l’être – tu peux toujours exiger qu’il te laisse une pièce de derrière pour tes meubles en attendant qu’Hugo trouve la maison rêvée, en attendant la fin de la guerre, en attendant, quoi.
            Je viens de recevoir deux bonnes lettres de Suzon des 18 et 20. Elle me raconte toutes les gamineries de la petite. Je pense qu’il te tarde de la revoir, mais je trouve aussi que tu es bien à ta place à Marseille en ce moment et que si tante Fanny te desire auprès d’elle tu n’as qu’à y rester.
            Je suis peiné de voir stationnaire l’état de cette dernière. Dis-le lui. Vous avez l’air, elle et toi de vous excuser en me demandant de passer une partie de permission à Mazargues. Ce sera au contraire une joie pour moi ; et puis c’est tellement naturel. L’ideal se serait de faire le tour de France, à la recherche de tous ceux qui sont chers, sans avoir pour cela à s’éloigner de toi.
Tendresses à toi, maman cherie, à tante Fanny, à vous tous 

Jean

mardi 25 octobre 2016

Marseille, 25 octobre 1916 – Mathilde à son fils

Villa Svéa ce 25 Octobre 1916
            Mon fils chéri 

            Je reçois à l’instant ta lettre du 19 que j’ai attendu de longs jours et qui quoique remplie d’un interêt passionnant, m’a apporté et tu le penses bien la plus vive désillusion, car je n’ose parler de peine, puisque tu es là, sans égratignure, et que j’ai promis de ne pas me plaindre.
            La peine est amère tout de même, à bien des points de vue pour moi pr tout ce que j’avais amassé de tendresse contenue que j’espèrais déverser avec abondance, pour mon cœur qui avait besoin de se réchauffer à ta tendre et chaude affection, pour tout ce que j’espèrais savoir de vive voix et que je ne saurais pas de longtemps peut être, pour toi surtout qui avais mérité cette douceur et qui reste à la peine au lieu d’être au repos. Et puis faut il se réjouir de ce que tu sois versé dans les mitrailleuses ? N’est on pas encore plus exposé ? Fanny m’assure et ses filles aussi que c’est préférable que l’on est plus à l’abri est-ce vrai ? dis-moi toute la vérité que je veux toujours savoir.
            Es-tu couvert n’as-tu pas bien froid dans ton abri de branchage. Comptes-tu y être longtemps ?
            Une chose que j’aimerais aussi savoir c’est si tu as pris part avec ta section à une attaque vraie, ou si tu es resté dans les tranchées de 1ère ligne. As-tu du te battre personnellement je ne le sais jamais. J’avais toujours pensé que, bien que tu ne l’ai pas dit après le 7 tu avais du remonter en 1ère ligne.
            Aussi je t’attendais ici très nerveuse, très excitée, pour un peu je serais allée tous les jours t’attendre à la gare maintenant malgrè tous les efforts faits pour me retenir, je veux revenir à la maison, chez Suzie, où je règlerai au mieux, je l’espère la question appartement. Peut-être serai-je là encore la semaine et partirai-je au commencement de l’autre.
            As-tu lu le beau succès de Verdun ? mais par contre la défaite Roumaine retarde encore l’heure de la délivrance.
            Et avec l’hiver avec son triste cortège de froid, de pluie, de souffrance. Te sers-tu de ton caoutchouc ?
            Penses-tu quitter ta section et tes chefs ? Cela te sera bien pénible.
            As-tu écrit à Mme Gétaz ?
            Tante Fanny est mieux depuis hier, si cela continue je la laisserai avec moins de regrets.
            Adieu, mon bien aimé. Dieu qui veille sur toi conduit les évènements et nous devons nous remettre confiants entre ses mains paternelles.
            Je t’envoie toute ma tendresse. 

Ta vieille maman 

            Penses-tu être envoyé au danger d’ici quelque temps ?

lundi 24 octobre 2016

Front de Somme, 24 octobre 1916 – Jean à sa mère

24-10-16
            Maman chérie, 

            Bonne journée aujourd’hui ; j’ai reçu mon courrier qui était en souffrance au 132e. Un paquet de lettres : les tiennes du 14, 15, 16, 17, 18, 19.
            La pluie s’est remis de la partie, et le petit écolier consciencieux d’autrefois s’est arrangé pour disposer de son après-midi et pour écrire enfin à Madame Gétaz ; j’étais honteux de ne pas l’avoir encore fait, mais impossible de le faire posément.
Source : Mémorial GenWeb
            Tu as appris par les journeaux la mort du Cdt Gouraud. L’avais-tu su ? Il a été capitaine au 132. C’était un homme de grand cœur. Ds la Somme, il arretait des blessés, les embrassait, et leur disait : « Tu es sale, mais tu es beau ». Il était très brave aussi. Une perte beaucoup plus serieuse est celle de notre géneral de division, [Pierre] Girodon, qui a été tué avant même que nous soyons engagés ; il avait certainement une très grande valeur militaire et un brillant avenir devant lui. Beaucoup d’allure aussi. Ce qui le rendait populaire, c’est sa temerité. Il se montrait partout ou ça chauffait. Les journeaux ont d’ailleurs beaucoup parlé de sa mort.
            Un autre general dont les journeaux ont encore parlé ces jours-ci était mon voisin de table l’autre jour à l’hotel à A. [Amiens]. Il a du être blessé le lendemain même. C’est Sainte-Claire Deville[1], l’inventeur du frein hydraulique du 75.
            Si, comme je l’espère fortement et comme on nous l’a promis, nous partons en permission à la fin des cours, je serai très heureux de venir à Marseille, surtout Suzanne et la petite y étant. Si elles ne peuvent pas y venir il sera possible de partager ma permission entre Cette et Marseille.
            Maintenant, [Roger de] La Morinerie ayant exprimé le desir de passer 2 ou 3 jours de sa permission ds le Midi, je l’avais invité à venir à la maison en toute simplicité, dans le cas probable ou nous partirions ensemble. Mais lui va aussi volontiers à Marseille qu’à Cette et tante Fanny acceptera bien pour 2 jours un hote de + dans sa maison elastique. Il n’y a d’ailleurs pas à se mettre en frais pour lui.
            Je le sais bien que tu ne vivais pas tant que tu me sentais en danger. Il me semble que je suis coupable envers toi de te donner de pareilles transes. Et pourtant ! Nos pertes du regiment ont été plus fortes qu’à Verdun ; mais ce sejour a quand même été moins dur pour moi malgrès sa longueur parceque ma section a été moins éprouvée.
            Je crois bien être débarassé de mes totos. Mais non sans peine. J’étais en bonne compagnie. Le colonel et le commandant avaient leur part. Ce dernier pretendait que je lui avais passé quelques uns des miens.
            Dans mon volumineux courrier, une bonne lettre de tante Fanny. Remercie-là de son affection que je sens très forte. J’ai reçu aussi une bonne lettre affectueuse de Mlle [Léo]Viguier, qui me donne des nouvelles de tous, une carte de Mercier que sa surdité empêche de devenir aspirant, une d’André Bellais, l’ami de Gétaz.
            Il faut te quitter. Il est tard et je tombe de sommeil. Je vais m’enfoncer dans mon « sac à viande », un beau sac de couchage en caoutchouc, très très chaud pour la nuit.
            Ce soir j’ai gagné 7 sous au bridge.
Tendrement  

Jean
 


[1] Sainte-Claire Deville, Charles-Etienne (1857-1944). Polytechnicien, général de division.

samedi 22 octobre 2016

Front de Somme, 22 octobre 1916 – Jean à sa mère

Dimanche 22-10-16
            Maman chérie, 

            Encore une bonne journée à A. [Amiens]. Nous avons eu des permissions de 24 et sommes partis hier soir toute une bande. Nous nous en mettons « plein la lampe » selon l’expression militaire. Ce matin je suis allé au temple. Sermon rasant, mais chants nourris et orgue bien tenu. Mme Bruce la femme du pasteur m’a invité à dejeuner. Enfants mal élevés, on ne s’entendait pas. L’après-midi j’ai partagé mon temps entre la cathédrale et le patissier.

Très tendrement toujours

Jean
 
            Ce qui me pèse ici c’est que je ne reçois pas de lettres. Rien de personne depuis Mardi

jeudi 20 octobre 2016

Front de Somme, 20 octobre 1916 – Jean à sa mère

20-10-16
            Maman cherie, 

            Je ne t’écrirai pas bien longuement aujourd’hui, j’ai tant à écrire à tous !
            A la pluie diluvienne de ces jours-ci a succédé un beau temps sec d’hiver, comme je les aime. Il fait très froid, mais j’ai ce qu’il faut pour lutter. Toujours dans mon village nègre. Les cours n’ont pas pu encore commencer.
            Je sors peu à peu de l’abruttissement où m’avaient plongé ces longues journées de front.
            Je te quitte pour écrire à Mme Gétaz
Tendrement  

Jean 

[De la main de Suzanne]

            Voici l’adresse qui était sur l’enveloppe
            S/lieutenant Médard DD de la 12e DI
            s.p. 33

mercredi 19 octobre 2016

Marseille, 19 octobre 1916 – Mathilde à son fils

Villa Svéa ce 19 Octobre 1916 

            Mon Jean bien aimé 

            Je suis trop émue et troublée pr que je puisse te dire quoi que ce soit. Je viens de passer des jours d’angoisse telles que l’on ne peut comprendre autour de moi que je puisse y resister. Quand je viens de trouver au courrier tes cartes du 15 et ta lettre du 16 j’ai cru mourir de bonheur. Avec tante Fanny ns avons pleuré dans les bras l’une de l’autre. Elle vibre autant que moi  presque et me supplie de te faire une commission  que je suis obligée de transmettre dans la crainte prtant de te deplaire. Elle te supplie de venir la voir et de me prendre ici. On ne peut lui refuser, tu le regretterais car je la crois très malade et elle t’aime peut-être plus que son fils. Elle me demande d’écrire à Suzie de venir avec Elna ; je ne sais ce que fera ta sœur mais si tu préfères aller à Cette on peut toujours y passer la fin de ton sejour.
            Ecris moi vite ; je suis si heureuse que je ne sais ce que je dis. Je télégraphie à Melle [Léo] Viguier.
            Repose toi. Quitte tes « totos » et viens même avec eux embrasser ta mère.

Math P Medard

            J’achève ces mots à la poste.

Front de Somme, 19 octobre 1916 – Jean à sa mère

19-10-16
            Maman cherie, 

            Comme il me tardait de pouvoir t’écrire cette lettre. Mais ça m’a été impossible jusqu’à aujourd’hui.
            D’abord quelques mots sur ma situation presente. J’ai quitté avant-hier le regiment ; il est parti au repos dans la region où j’avais rencontré [Albert] Léo [Gaudechart, donc] ; nous, 7 ou 8 sous-lieutenants et moi, sommes partis à pied dans des baraquements pour des cours divisionnaires quelque part entre A. [Amiens] et le front que nous quittons. Grande desillusion ; d’abord ce sera beaucoup moins reposant ; ensuite nos permissions, sur lesquelles nous comptions pour un de ces jours sont remises aux calendes grecques.
            Les cours que je vais suivre sont des cours de mitrailleurs. C’est ce qu’il y a de plus interessant mais les moindres heures de permission le seraient bien davantage.
            Nous sommes ds des baraquements, ds un bois, tout à fait hors de portée des marmites. A l’intérieur, ma baraque ressemble à un village nègre. Chacun s’est fait une petite case avec des branchages ou de la paille. Il ne pleut pas trop dedans. Avec moi, comme par hasard, [Roger de] La Morinerie – nous nous retrouvons toujours, Millière, et d’autres que tu ne connais pas.
            En somme installation rudimentaire, mais beaucoup plus confortable que les tranchées de Bouchavesnes.
            Et maintenant, quelques mots sur ma campagne de la Somme, puisque je n’ai pas la joie de pouvoir faire ce récit de vive voix.
            Le 22 au matin nous debarquons ds un village de la vallée de la Somme qui porte le nom de ma sœur[1] et était certainement delicieux avant d’être eventré par les obus et occupé par la troupe.

Source : collections BDIC

          Le 2ème baton en repartait le soir même pour s’installer ds un bois voisin [bois de Vaux], où ns avons dressé nos tentes. Là nous avons passé deux journées presque douce, à la fois très près et très loin de la bataille, sous un beau soleil d’automne, ds un pays auquel la guerre n’a pas pu enlever tout son charme. Vue très étendue sur une vallée ou chaque ferme, et chaque bocqueteau est devenu celebre. Une demie nuit de marche nous a conduit en un point où ça commençait à barder. C’était le 25, jour de l’attaque.
            Nous n’avons pas attaqué à ce moment là, mais sommes restés 2 jours en réserve sans trop de pertes. Les regiments de la division qui ont attaqué n’ont pas avancé, mais c’était prevu, semble-t-il. Nous jouions le role très ingrat d’ « aile » d’attaque.
            Dans la nuit du 26 au 27 nous nous installions pour 5 jours en première ligne. Ça a été la période la plus dure. Le secteur était naturellement très agité à la suite de l’attaque. Attaques partielles à notre gauche, contre-attaques boches, etc etc. C’est alors que [Edouard] Gétaz, [Joseph Eugène] Lesur, le capitaine [Barthelémy Henri] Brissaud ont été tués, Baudin, Combemale blessé.
            Ds la nuit du premier Octobre nous etions relevés de première ligne et mis en reserve pas loin. Pendant cette periode nous dormions assez tranquillement le jour et allions travailler la nuit en ligne. J’ai fait alors ds ce qui a été Bouchavesnes des promenades plutôt agitées. J’ai quitté la 5ème pour la 6ème, et c’est avec cette dernière Cie que nous sommes remontés en ligne le 9, dans un secteur que nous avons du organiser complètement, où ns avons passé des journées un peu dures, et où, par miracle, nous avons eu très peu de pertes. Mais j’avais alors deux bons et courageux compagnons, [Marcel] Simonin, qui commandait la Cie – et il la commandait bien – et [Gaston] Mellinette qui nous renforçait avec sa section de mitrailleurs. En compagnie les heures nous paraissaient moins longues, puis nous travaillons ferme.
            Ds la nuit du 14 au 15 ns étions relevés. Le 15 ns étions déjà loin de la zone vraiment dangereuse, le 16 encore plus loin.
            Le 17 ns ns preparions à prendre les camions lorsque l’ordre de venir ici est arrivé, et le regiment est parti sans nous. Nous serons très vite consolés si nous avons une permission avant le prochain coup dur ; mais, « that is the question ».
            Hier journée tout particulièrement agreable, dans une ville où j’ai préché avant la guerre et que j’aime bien. Elle est maintenant remplie d’Anglais.
            Tout ça est bien sec et ne te dit rien de ce qu’a été ma vie depuis un mois. Petit à petit on reviendra dessus. Pour le moment, je te quitte et je t’embrasse tendrement, comme je t’aime. 

Jean


[1] Suzanne, donc.

dimanche 16 octobre 2016

Front de Somme, 16 octobre 1916 – Jean à sa mère

16-10-16
            Maman chérie, 

            Aujourd’hui une nouvelle petite étape vers l’arrière ; mais encore beaucoup de vacarme, de mouvement, de troupes, de chevaux, de voitures, d’autos, d’avions, de saucisses et même de bouricots.
            Je crois que je resterai à la 6ème, et ma foi j’y suis presque heureux. Ce n’est pas chic de lacher ma section ; mais tout plutot que vivre avec G., il est plus fou que jamais.
            Hier j’ai vu l’aumonier du corps. Je te raconterai tout ça plus tard, et, je l’espère, de vive voix. Pour le moment, je suis trop abrutti.
Tendrement  

Jean

samedi 15 octobre 2016

Front de Somme, 15 octobre 1916 – Jean à sa mère

15-10-16
            Maman cherie, 

            Pousse un gros soupir de soulagement ; je suis enfin à une distance respectable des marmites. Et puis rejouis toi de ce que des permissions nombreuses, très nombreuses vont être accordées et de ce qu’il ne serait pas impossible que je sois dans une dizaine de jours au milieu de vous. Aussi aimerais-je te voir à Cette, si l’état de tante Fanny n’exige pas ta presence à Marseille. Qu’elle me pardonne. J’ai reçu en arrivant ici le caoutchouc. Magnifique. Trop beau. 3 paquets. 2 de tante Fanny un de Suzon. Merci. Merci.
            Reçu tes lettres des 12 et 13.
Tendrement  

Jean

vendredi 14 octobre 2016

Mi-octobre 1916 – En descendant de la Somme


          Le 14 [octobre] nous sommes relevés. Depuis plusieurs semaines nous sommes tous couverts de poux, depuis le plus humble soldat jusqu’au colonel. Le 15, comme nous cantonnons aux environs de Bray-sur-Somme, je profite de la proximité de la rivière, je prends un bain malgré le froid dans un endroit écarté, je sacrifie tout le linge que je porte et puis me débarrasser pour un temps de cette faune répugnante.  

Source : collections BDIC
        Il semble que maintenant, après avoir subi de rudes pertes, nous puissions espérer de nouveau une période de vrai repos et de permission. Le régiment part en effet pour Formerie, aux confins de la Normandie, mais par malheur je suis désigné pour suivre un cours de canon de 37 et dois rester avec sept ou huit camarades à Cerisy-Gailly, dans cette région d’arrière-front où l’on n’est pas bombardé, mais où l’activité militaire a tout envahi, où il n’est pas question de trouver une chambre et un lit. Au diable le canon de 37 ! Nous sommes cantonnés dans un baraquement où chaque officier a sa petite cellule. 
Une nuit nous entendons des cris impressionnants. C’est un des lieutenants du régiment, qui est en proie à une crise étrange. Le lendemain il me fait tristement la confidence : « Je suis épileptique. J’aurais naturellement pu me faire réformer, mais la guerre est une belle occasion pour moi de me faire tuer proprement. Mes sœurs risqueraient de ne jamais trouver de mari et moi de sombrer un jour dans l’idiotie. Il vaut mieux que je disparaisse. Je n’ai pas besoin de chercher la mort. Elle saura bien me trouver toute seule ». Il devait en effet être tué quelques mois plus tard au Chemin des Dames. 
Heureusement pendant cette période nous pouvons nous échapper souvent jusqu’à Amiens et même à Paris.
Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre) 

mercredi 12 octobre 2016

Front de Somme, en première ligne, 12 octobre 1916 – Jean à sa mère

12-10-16
            Maman cherie, 

            Quand l’artillerie nous laisse un peu de repit notre principale distraction est la chasse aux « totos ». J’en ai de magnifiques, et beaucoup. Nous ne nous sommes pas lavés depuis 18 jours. Des barbes de « poilus » ornent nos males figures. Si tu voyais notre commandant, tu ne le reconnaitrais plus.
            Et voilà
            Je t’embrasse avec ma grande tendresse.  

Jean
Source : Gallica (Journal "Le Front") mis en ligne par Florence sur http://florence.apln-blog.fr/category/chronique-14-18/
 

mardi 11 octobre 2016

Marseille, 11 octobre 1916 – Mathilde à son fils

Villa Svéa ce 11 Octobre 1916
            Mon grand aimé           

            Ce matin tes deux cartes des 6 et 9. J’étais profondément heureuse car j’avais lu hier jusqu’à minuit sur la reprise de l’offensive (front français) depuis le 7 prise de cote…. et je me demandais si tu n’étais pas à cet assaut.
            Tu me dis que vous n’êtes plus là pour longtemps et cela me donne un peu de courage.  Avec toi je suis triste de ce changement à la 6ème car je sais combien attaché tu étais à tes hommes. Je pense aussi avec sympathie à leur peine à eux. Mais peut être a-t-on jugé que ton influence, ton action sur eux ayant porté, il fallait t’envoyer ailleurs… faire du bien toi qui porte avec toi la paix, la soumission, la confiance, la paix surtout et j’ai l’espérance que Dieu t’accompagnera la et te protègera comme il l’a fait à la 5ème néanmoins je suis triste de ta tristesse.
            Tu n’as donc pas encore reçu mon paquet ni mon manteau ? Ce qu’il me tarde de le savoir ! et mes lettres (si peu en rapport avec ce que je sens et voudrais t’exprimer) les reçois-tu tous les jours ? car j’écris un mot tous les jours.
            Enfin j’ai fait hier cette visite que j’appréhendais si fort. Je suis restée 2 heures auprès de cette pauvre amie et suis sortie de là plus forte que je n’y étais entrée.
            Tante Fanny m’avait parlé de l’exterieur de la femme (une Impératrice portant fièrement sa belle tête jeune aux cheveux tous blancs) j’étais un peu intimidée et bien émue. J’étais attendue et elle m’a mise sur son cœur et m’a longuement embrassée en m’appelant sa sœur. J’étais si ébranlée que je ne pouvais plus rien dire – mais elle se possède, elle est si forte si sereine que j’ai taché de me ressaisir. Il faut être aussi forte et courageuse qu’eux m’a-t-elle dit mais on sent que l’abime s’est ouvert devant elle. Elle est théosophe de sorte que j’ai été embarrassée pr lui parler de la seule chose « necessaire » de l’amour de Dieu qui console toutes les afflictions. Mais elle m’a dit qu’une force pr elle très grande était de sentir intensément l’âme de son bien aimé Edouard unie à la sienne – plus encore dans la mort que dans la vie car la vie la lui aurait prise un peu.
            Elle m’a beaucoup demandé et beaucoup questionnée sur notre rencontre à Chartèves. Etait-il triste lui toujours si gai, si entrain ? J’ai du lui dire que je ne l’avais pas vu très gai ; mais si aimable, si gentil, si beau me parlant d’elle avec tant d’affection et d’admiration et cela lui a tant fait plaisir.
            Son ami intime à lui lui a dit que Gétaz avait le sentiment qu’il ne reviendrait pas. T’a-t-il exprimé ce sentiment ? Elle m’a montré des tas et des tas de photos où tu es sur quelques unes et que je n’ai pas. Elle me prie de te dire sa reconnaissance pour tout ce que tu as fait ; si émue en sachant que tu avais été sur cette tombe. Elle attend ta lettre très anxieusement. Sur certaines de ces photos il y a les dames parisiennes rencontrées à Chartèves et sur lesquelles on taquinait ce pauvre Gétaz.
            Le père est effondré ; et sa femme le plaind profondément. Il y avait eu de telles luttes m’a t elle dit. Il ne voulait pas qu Edouard fut français et son fils aimait tellement la France qu’il a du causer à son père cette douleur d’opter et je suis sûre que s’il s’était senti mourir, il aurait été heureux de donner sa vie pour elle.
            Elle m’a dit hier des choses que je voudrais te repeter. Lorsqu’il était en danger, elle le sentait et lui avait dit : Dans ce moment-là « pense à moi » tu me sentiras près de toi. (Comme je voudrais que tu puisses me sentir près de toi).
            Mr Bruguière a été le lui dire le Lundi soir après souper lorsque je l’ai vu entrer m a-t-elle dit j’ai établi une relation entre vous et lui et j’ai compris ! Ns étions entrain de relire la dernière lettre d’Edouard pendant qu’il était en réserve dans un bois.
            Il parait que vs avez été dans un village ayant pr nom « Marseille » ? Il me tarde maintenant que tu puisses écrire à cette pauvre mère, mais je te plains, mon bien chéri d’avoir à remplir ce devoir. Elle sait que son fils t aimait beaucoup. Je pense y retourner dans quelques jours, mais, dès que je te saurai « au repos » je retournerai à Cette où j’ai hâte de me retrouver avec les tout miens.
            Je porte suspendu à mon cou une croix huguenote toute semblable à la tienne et cela m’est doux.
            Je te quitte pour aller en ville, je profite pr faire des courses des jours où tu écris, j’ai des ailes que notre Père te soutienne et te garde.
            Je t’envoie des millions de baisers. 

Ta mère 

             Ici chacun t’envoie ses tendresses. Nous vivons tous bien que de tes maux moi sans cesse [?]
De tendres bien tendres baisers de ta mère
            Tante Fanny va mieux mais ses forces ne reviennent pas, elle est découragée.
Un record, je reçois ce soir ta carte du 8. Merci mon bien aimé.

Front de Somme, en première ligne, 11 octobre 1916 – Jean à sa mère

11-10-16
            Toujours vivant.
            Pas trop fatigué.
            Que ce mot te dise ma profonde tendresse. 

Jean 

            Je reçois avec joie tes lettres des 6 et 7, une carte de [Daniel] Loux et une de Mlle [Léo] Viguier. Ça aide à attendre la fin de cette dure periode.
            Mille choses à tous.

lundi 10 octobre 2016

Front de Somme, en première ligne, 10 octobre 1916 – Jean à sa mère

10-10-16
            Maman cherie, 

            Ça va toujours
Très tendrement  

Jean