vendredi 14 octobre 2016

Mi-octobre 1916 – En descendant de la Somme


          Le 14 [octobre] nous sommes relevés. Depuis plusieurs semaines nous sommes tous couverts de poux, depuis le plus humble soldat jusqu’au colonel. Le 15, comme nous cantonnons aux environs de Bray-sur-Somme, je profite de la proximité de la rivière, je prends un bain malgré le froid dans un endroit écarté, je sacrifie tout le linge que je porte et puis me débarrasser pour un temps de cette faune répugnante.  

Source : collections BDIC
        Il semble que maintenant, après avoir subi de rudes pertes, nous puissions espérer de nouveau une période de vrai repos et de permission. Le régiment part en effet pour Formerie, aux confins de la Normandie, mais par malheur je suis désigné pour suivre un cours de canon de 37 et dois rester avec sept ou huit camarades à Cerisy-Gailly, dans cette région d’arrière-front où l’on n’est pas bombardé, mais où l’activité militaire a tout envahi, où il n’est pas question de trouver une chambre et un lit. Au diable le canon de 37 ! Nous sommes cantonnés dans un baraquement où chaque officier a sa petite cellule. 
Une nuit nous entendons des cris impressionnants. C’est un des lieutenants du régiment, qui est en proie à une crise étrange. Le lendemain il me fait tristement la confidence : « Je suis épileptique. J’aurais naturellement pu me faire réformer, mais la guerre est une belle occasion pour moi de me faire tuer proprement. Mes sœurs risqueraient de ne jamais trouver de mari et moi de sombrer un jour dans l’idiotie. Il vaut mieux que je disparaisse. Je n’ai pas besoin de chercher la mort. Elle saura bien me trouver toute seule ». Il devait en effet être tué quelques mois plus tard au Chemin des Dames. 
Heureusement pendant cette période nous pouvons nous échapper souvent jusqu’à Amiens et même à Paris.
Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)