JMO du 132ème RI – 31 mars 1918 |
JMO du 132ème RI |
JMO du 132ème RI |
JMO du 132ème RI |
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Première guerre mondiale (1914-1918). Lettres de Jean Médard.
JMO du 132ème RI – 31 mars 1918 |
JMO du 132ème RI |
JMO du 132ème RI |
JMO du 132ème RI |
Ma chère Maman
Hier je t’ai écrit une lettre un peu hative. Depuis tout s’est un peu tassé. J’ai passé une nuit très reposante, quelques bonnes heures de sommeil sur un lit, de ce sommeil qui repare les fatigues de plusieurs jours et qui plonge l’être dans la plus profonde inconscience.
Source : collections BDIC
NB
– Photo prise treize jours après que Jean se soit lui aussi reposé
(« sur un lit »), peut-être à Royaucourt puisque
le colonel Perret y avait son PC.
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J’ai oublié de te raconter les belles minutes d’une journée très triste, celle du 27 :
Les boches avançaient, nous arrivions en hâte pour essayer de les arreter ; les artilleurs reportaient leurs batteries en arrière. C’est alors que j’ai rencontré Gilbert [Leenhardt] que je n’avais pas vu depuis son arrivée à la Division ; nous nous sommes embrassés comme des frères.
Depuis j’ai eu de ses bonnes nouvelles par un officier de son groupe.
Le soir en rentrant d’une liaison auprès du 1r Bataillon j’ai rencontré dans son bataillon Guy [Leenhardt] pour qui tout s’est bien passé.
Je n’ai pas le temps de t’en rencontrer plus long aujourd’hui ; je vous embrasse tendrement.
Maman chérie
Très dures journées de combat.
Aujourd’hui, le 3e Bataillon s’est couvert de gloire ce qui est une compensation à toutes nos peines. Nous venons de depouiller des prisonniers boches que nous avons fait en reprenant un village perdu [Le Monchel].
Source : collections BDIC NB – Photo prise treize jours après les évènements décrits par Jean Médard. |
Je remplace Le Gall qui est en permission. Une partie du régiment d’ailleurs était en permission car nous avons été allertés très vivement.
Fatigue assez grande, mais supportable. Très peu de pertes.
JMO du 132ème RI – 28 mars 1918 |
JMO de la 56ème D.I. – Représentation de la zone le 28 mars 1918 au matin |
Pendant la nuit le commandement essaye d’organiser une ligne continue de résistance. A l’aube notre Colonel [Adrien Perret] doit installer son P.C. un peu plus au sud, à Royaucourt. Il aura en principe sous son commandement son 3ème bataillon qui doit défendre Mesnil-St-Georges, un bataillon de territoriaux et un escadron de cavaliers à pied entre Mesnil-St-Georges et le Monchel, faubourg sud de Montdidier. On fait feu de tout bois. Il faut colmater à tout prix ce trou béant par lequel se précipite l’armée ennemie. Mais nous ne disposons pour le moment que d’un mince cordon de troupes.
Source : collections BDIC NB – Photo prise cinq jours après les évènements décrits par Jean Médard. |
Nous sommes envoyés en reconnaissance, Péchenart et moi, et trouvons bien les cavaliers et les territoriaux aux emplacements qui leur ont été assignés ;
Source : collections BDIC NB – Photo prise cinq jours après les évènements décrits par Jean Médard. |
mais Deconinck lorsqu’il s’approche de Mesnil-St-Georges reçoit des coups de feu.
Source : collections BDIC NB – Photo prise cinq jours après les évènements décrits par Jean Médard. |
Les Allemands occupent déjà le village et il n’y a pas trace du 3ème bataillon. Nous apprenons bientôt qu’on vient de le retrouver à la hauteur de la division. Il n’avait pas été atteint par l’ordre de repli. A la nuit, voyant les fusées éclairantes qui marquaient la progression allemande de dépasser de toute une coupe de forêt, le Capitaine De La Haye qui le commande a décidé de se replier vers l’ouest. C’est ainsi qu’il a atteint au petit jour le P.C. de la Division sans rencontrer âme qui vive.
Il faut qu’il reparte vers l’est et qu’il occupe Mesnil-St-Georges. Il faut que le village soit repris. Très rapidement l’attaque est préparée et déclenchée. C’est un succès complet. De Royaucourt, à la lorgnette, nous voyons le mouvement se développer sur deux fronts et nos soldats s’emparer du village comme à la manœuvre, soutenus par l’artillerie divisionnaire. Les Allemands qui avançaient sans résistance depuis plusieurs jours n’étaient pas préparés à ce coup de boutoir. Peut-être aussi s’étaient-ils trop empressés de visiter et de piller les caves. Non seulement ils perdent le village, mais ils laissent entre nos mains une compagnie de cent hommes avec le chiffre absolument disproportionné de vingt-cinq officiers.
Source : collections BDIC
NB
– Photo prise treize jours après les évènements décrits par
Jean Médard.
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Le 2ème bataillon à la fin de notre séjour reprend aussi le Monchel. Jamais le moral n’a été aussi haut.
Il est vrai que le ravitaillement n’a jamais été aussi bon. Nous vivons sur les ressources du pays, abandonné par ses habitants. Le colonel [Adrien Perret] fait tuer et rôtir des poulets qu’il envoie en première ligne, et même un veau. Par malheur ce veau appartient à la dernière habitante civile qui n’a pas voulu se laisser évacuer, bien que le bombardement devienne de plus en plus violent. On lui a pris aussi un seau. Elle se lamente : « Min viau, min siau ». On lui apporte sans peine un autre veau plus beau que le sien et un autre seau, mais elle est obligée à son tour de quitter le village.
Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )Nous ne rencontrons aucune troupe, pas une batterie d’artillerie, pas trace d’activité militaire ou de convoi. Nous croisons seulement des groupes lamentables de civils qui s’enfuient, portant des ballots ou poussant des voitures d’enfants. Montdidier n’est pas encore prise. La buraliste, avant de partir nous distribue le tabac qui lui reste. Nous avons encore le temps de nous installer à l’emplacement prévu.
Le Gall étant en permission, le colonel [Adrien Perret] me charge de le remplacer1. Pour le moment il voudrait savoir ce qu’est devenu son 1er bataillon, qui n’est plus sous ses ordres, mais dont le sort ne lui est naturellement pas indifférent. Il doit être engagé dans la région de Becquigny à cinq ou six kilomètres au nord. Il me demande d’essayer d’atteindre cette unité et de lui rapporter des nouvelles. C’est ce que je fais. Le pays est absolument désert, évacué par les civils, pas encore envahi par les Allemands, ni occupé par les Français.
Source : Magazine britannique "Punch" |
En avant de Becquigny je retrouve le 1er bataillon et je passe un moment avec le commandant Doutaud, qui devait être tué le lendemain. Quelques soldats anglais en retraite se sont joints au 132. C’est la première et la seule fois que je vois côte à côte le « poilu » et le « Tommy » comme sur les cartes postales. Ils sont installés dans un chemin creux et ne tardent pas à faire le coup de feu sur les premiers Allemands, qui commencent à se montrer.
Le soir arrive. Il ne m’est plus possible de rejoindre Etelfay, la route étant coupée par l’avance allemande. D’ailleurs le Colonel [Adrien Perret] a dû se replier. En obliquant vers le sud-ouest je tombe sur le 49ème B.C. et je puis embrasser Guy Leenhardt, qui devait être fait prisonnier le lendemain.
Ce soir-là, constatant la faiblesse de nos forces, sans liaison, éparpillées sur un front beaucoup trop étendu et sans soutien d’artillerie, je suis extrêmement inquiet. J’imagine déjà les Allemands marchant sur Paris ou coupant l’armée française de l’armée anglaise et atteignant la mer.
Assez tard dans la nuit je retrouve enfin mon Colonel [Adrien Perret] à Fontaine-sous-Montdidier. Il a mis une sentinelle devant la cave du château pour éviter le pillage et il fait distribuer régulièrement une bouteille de bon vin à chaque soldat du 2ème bataillon, qui doit défendre le village. Nos troupes, débordées ont en effet reçu l’ordre de se replier à l’ouest de Montdidier.
Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )JMO de la 56ème D.I. – 27 mars 1918 |
La gare de Breteuil embranchement avant sa destruction en 1918 Source : Wikipédia |
JMO du 132ème RI – 26 mars 1918 |
L’officier de la division qui nous accueille semble bouleversé : la marche en avant des Allemands a été très rapide. Il n’y a plus rien pour les arrêter. Le 1er et le 3ème bataillons, qui nous ont précédés ont été envoyés sans nous attendre. Le 2ème bataillon avec lequel nous voyageons devra s’installer en avant d’Etelfay, à l’est de Montdidier, si les Allemands lui en laissent le temps.
Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )
JMO de
la 56ème D.I. – 26 mars 1918
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Ma chère Maman
L’interminable voyage continue, avec une lenteur desesperante. Nous sommes un peu abrutis par nos 36 heures de voyages, et il semble que nous soyons encore bien loin du but.
Nous sommes heureusement toujours la même joyeuse bande et je t’assure que l’on ne s’en fait pas. La grande distraction de la journée c’est le journal qu’on accroche au passage. Nous allons traverser un pays que tu connais [Allusion à Verdun où Mathilde était venue rejoindre Jean trois ans auparavant après qu’il avait été grièvement blessé aux Éparges]. Il fait beau comme quand tu y es venu.
On sent que la guerre recommence un peu partout à voir les arrières un peu remuants.
Je pense à toi avec une grande tendresse, ma pauvre maman.
Source : Gallica - Le Petit Parisien du 25 mars 1918 |
Source : Gallica Le Petit Journal du 25 mars 1918 |
Lorsque le soir du 25 nous passons dans la banlieue parisienne, nous apprenons que la poche ouverte par les Allemands sur le front anglais à St Quentin s’est élargie d’une manière inquiétante. Les journaux que nous achetons au passage annoncent aussi un mystérieux bombardement de Paris. La « grosse Bertha » commence à faire parler d’elle.
Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )Ma chère Maman
C’est aujourd’hui que je devais partir en permission. Mais il est ecrit que je n’aurai pas cette dernière de si tôt. L’avant-veille du jour où je devais partir les permissions sont supprimées ou à peu près. C’est une veritable fatalité, surtout que ces jours-ci notre avenir devient très incertain.
L’irrégularité de mon ecriture te fera comprendre que nous sommes en chemin de fer. Nous roulons depuis hier soir et ce n’est pas fini. Destination inconnue.
Source : collections BDIC |
Je suis bien tendrement avec toi.
JMO du 132ème RI –
24 mars 1918
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Le 24 Mars le cours est brusquement interrompu. Je suis rappelé au 132 qui cantonne aux environs et nous embarquons d’urgence à Montreux-Vieux. Voyage interminable. Nous sommes arrêtés longtemps devant les gares de Belfort et de Nancy, bombardées.
Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )Source : collections BDIC |
Ma chère Maman
J’espère bien pouvoir partir pour le Midi Lundi soir 26, mais tant que je tiens pas ma permission, je ne suis sur de rien.
Il parait que le congrès des lycéens chretiens à lieu à Montpellier ; dans ce cas je m’arréterais là le 27 et y passerai la journée du 28 ; je te télephonerais en arrivant pour que tu puisses m’y rejoindre.
Tout ça serait bien beau si ça pouvait coller.
Je ne t’en écris pas plus long pour aujourd’hui, c’est le jour des colles : examen ecrit. Demain examen oral. Tu vois que ça barde. ça ne m’a pas empêché d’ailleurs d’aller diner hier chez [Marcel] Simonin1 qui cantonne tout près [à 3 km de Belfort, à Offémont]. Soirée très gaie.
Maman chérie
Toujours le train-train habituel. Je reçois très régulièrement tes lettres.
Triste la mort du fils Girbal1.
J’ai reçu ce matin une bonne lettre du capitaine [René] Recopé de Tilly avec des photos amusantes sur lesquelles j’ai retrouvé mon auguste ex-patron [le colonel Maurel].
Je ne te parle pas de permission, mais je ne pense qu’à ça. Si c’était pour la fin du mois je tâcherais de passer un jour à Paris au congrès des Lycéens.
Tant mieux si les chiffons que je vous ai envoyé vous font plaisir. Ils sont loin d’être tous jolis, je les ai acheté au poids à Wesserling avant de quitter la vallée, je crois que le tout m’est revenu à 3 frs.
Je pensais l’apporter en permission, je vous l’ai envoyé quand j’ai vu que les retards se multipliaient et je n’ai pas pensé à vous en avertir.
Maman chérie
Avant-hier après-midi nous avions renoncé, [Frank] Suan et moi, à aller dans la vallée j’avais une manœuvre qui ne devait me ramener à B. [Belfort] que vers 6 heures. Par un concours heureux de circonstances, j’étais de retour à 4 h ¼, je pouvais prendre [Frank] Suan chez lui et nous arrivions à temps pour prendre l’auto postale. Celle-ci nous menait quelques heures plus tard à destination. Et les Scheurer sortaient à peine de table quand nous sommes arrivés chez eux. On nous a restauré abondamment et nous avons passé une journée de bonne causerie. Suan a beaucoup interessé tout le monde par ses histoires de Martinique, où il est né et où il a vecu jusqu’à 17 ans – l’histoire de son professeur nègre agrégé d’anglais – celle de l’eruption du Mont Pelé – celle de ses plantations de cocotiers, etc, etc. Il était intarissable.
Après un excellent sommeil, nous avons retrouvé au petit déjeuner Mr [Jules] Scheurer, sur le point de partir pour le Rossberg un sommet de la région. Il faisait un temps splendide ; ascension facile. Mr Scheurer est l’agilité même malgré ses 65 ans. Là haut vue splendide. Suan était enthousiasmé, nous avons découvert la Forêt Noire, le Jura et même les Alpes, sans compter les sommets voisins auxquels j’étais très fier de pouvoir donner un nom, et sans compter la plaine qui s’étalait devant nous, et que la fumée de quelques obus animait de temps en temps. Un diner plantureux nous attendait selon la tradition de l’Alsace et de la maison. Nous ne sommes pas restés longtemps après déjeuner, je voulais voir [Édouard Mortier duc de] Trévise, que j’ai manqué et faire visiter Th. [Thann] à Suan. Une petite déconvenue nous attendait. L’auto postale sur laquelle nous comptions pour rentrer n’a pas pu nous prendre. Nous « sommes restés en carafe » devant la porte de Th. un peu abruttis à l’idée des 35 kil qui nous restaient à faire pour regagner B. [Belfort]. Nous sommes partis courageusement, et, après nous être arrétés en route pour diner, sommes arrivés ici à 1 heure du matin sans incident, sous la haute protection de la lune. Aujourd’hui nous sommes moulus. J’avoue que j’ai suivi le cours d’assez loin.
JMO du 132ème R.I. du 17 mars 1918 |
T’ai-je dit que le régiment s’installait tout à fait dans le voisinage et qu’il me sera très facile d’y aller diner. Tu vois que ma vie est sinon mouvementée, du moins très agreable.
Je penserai spécialement à toi demain, maman chérie, je sais combien les jours d’anniversaire sont lourds pour toi [le père de Jean était mort un 19 mars]. Je t’envoie ma grande tendresse.
Ma chère Maman,
Rien de saillant si ce n’est que le régiment est dans la region et qu’un bataillon va même cantonner ici, parait-il. [Pierre] Péchenart est même dans nos murs ce soir, mais je n’ai pas pu mettre la main sur lui.
Je continue à mener la plus douce vie qui soit. Ce soir je suis allé à la coopérative d’armée où j’ai fait quelques achats. Je suis comme les femmes dans les magazins de nouveauté, je ne resiste pas au plaisir de faire des occasions.
Source : collections BDIC
Amusante coïncidence : cette photo a été prise le jour même où Jean Médard lui aussi faisait des achats dans une
coopérative militaire... à Belfort et non à Toul. |
Je ne crois pas pouvoir aller Dimanche dans la vallée, comme je l’esperais. Nous avons demain soir un exercice qui vient se mettre en travers. Pour comble de malheur, le temps s’est mis à la neige et au froid ce qui enlève tout attrait à une fugue de ce genre.
Ma chère Maman
Tes lettres maintenant m’arrivent chaque jour avec une régularité parfaite. Rien de nouveau. Je suis tendu après les nouvelles pour savoir si, à la fin du mois, je pourrai prendre mon vol. [Daniel] Loux m’écrit qu’il ne pourra en tout cas pas venir à Cette pour ma permission. Il faudra que je lui donne rendez-vous à Lyon. Je vois toujours regulièrement [Frank] Suan. Hier nous avons visité une grande usine de la region. Très interessante. Je lis un bouquin de vers que [Edouard Mortier, duc de] Trévise m’a prêté.
Ma chère Maman
S’il me fallait faire le journal de cette période, ce sera un veritable travail car toutes mes journées sont à marquer sur des tablettes. C’est la rencontre avec Charles Westphal15 qui a marqué celle d’hier. J’avais remarqué dans les rues de la ville de nombreux officiers de son régiment. J’ai fini par en interwiever un et j’ai appris que Westphal était dans un village voisin, à 6 kilomètres à peine. J’ai sauté chez un loueur de vélo, et après avoir averti [Frank] Suan j’ai fait force pedale vers Ch. [Charles]. Il n’a pas changé, est toujours un peu triste, mais supporte en somme très bien la vie du front. Suan nous a rejoint ; nous sommes restés à diner à sa popote, avec un lieutenant de sa Cie, assez sympathique.
Il quitte aujourd’hui ce village, mais ne s’eloigne pas beaucoup. il nous a promis de venir nous voir dans le courant de la semaine. Nous esperons qu’il ne sera pas empêché de le faire. Son frère est malade et se soigne en Suisse.
Maintenant parlons affaires. Je depense beaucoup plus d’argent qu’en temps ordinaire, pour ne pas risquer de me trouver à court quand il faudra payer mon hotel et ma popote je te serai très reconnaissant de m’envoyer 100 francs le plus tôt possible.
Voilà pour le négatif.
Maintenant le positif : la solde de lieutenant est augmentée ; cette augmentation doit passer, je crois, toute entière à la délégation ; tu toucheras donc dorenavant une somme mensuelle plus forte. Tu toucheras même peut-être la prochaine fois la forte somme (+ de 300 frs) comme rappel de solde, cette augmentation étant appliquée à la date de Juillet ou d’Aout dernier.
Merci pour tes bonnes lettres. J’espère que ton travail à la gare t’interesse sans trop te fatiguer.
Ma chère Maman
J’ai pu réaliser le projet caressé depuis quelques jours et aller passer mon Dimanche dans la vallée1. [Frank] Suan qui devait m’accompagner a été au dernier moment retardé et empéché. Ce contre-temps m’a fait rater l’auto. J’ai du prendre le train m’appuyer quelques kilomètres à pied ce qui d’ailleurs n’était pas pour me deplaire. C’était trop tard pour aller chez les Scheurer, j’ai couché à l’hotel à Th. [Thann].
J’avais tout à fait l’impression d’être en secteur : bruit de mitrailleurs à deux kilomètres, obus tombant assez près. Le secteur est moins calme que lorsque nous y étions. La ville est toujours à peu près épargnée, sauf un malheureux accident il y a quelques jours. A l’hôtel j’ai rencontré [Maurice] Pomier [un cousin éloigné, côté Leenhart], qui y était installé. Je crois qu’il a été interloqué de me voir arriver là nuitement. Le lendemain matin j’ai retrouvé la ville toujours la même, malgré l’épreuve, sous un soleil radieux : les rues pleines de monde, de civils comme de militaires, des cris et de la lumière. On se croirait loin du front ; ce qui rappelle à la réalité, ce sont les ruines nombreuses et les sachets contre les gaz que tout le monde, grandes personnes et enfants, paysans et bourgeois, porte en bandouillère.
Source : collections BDIC |
Je suis remonté en promeneur jusqu’à B. [Bischwiller-les-Thann], au passage je me suis arrêté chez le duc de Trévise [Édouard Mortier]. Il a témoigné beaucoup de joie à me voir ; c’était reciproque d’ailleurs ; c’est une nature fine, idealiste et artiste, drolement éprise de methode et de force.
Chez les Scheurer acceuil chaleureux. Je me suis fait attraper pour n’avoir pas demandé l’hospitalité même à 10 heures du soir, je me suis fait inviter pour Dimanche prochain avec [Frank] Suan – si c’est réalisable. J’ai donné des nouvelles toutes fraiches de [Albert] Léo, de ma division dont on parle avec attendrissement dans toute la vallée.
Source : collections BDIC |
Leur belle-fille2 était là, une toute jeune veuve qui est en temps normal ambulancière sur le front et qui a failli être des victimes du bombardement des ambulances de Vadelaincourt. En somme c’est un milieu d’héroïsme quotidien et discret. Au retour j’ai vu encore assez longuement De Trévise, et je suis rentré par l’auto, retour beaucoup plus pratique qu’à l’aller. Il fait très beau, je reçois régulièrement tes lettres ; enfin tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si…….
Ma chère Maman
T’ai-je fait le programme de mes journées ? Le matin lever à 7 heures – cours de 8 à 11. Dejeuner – Cours de 2 à 4.
Ces cours ont trait à la liaison en general et au téléphone en particulier. Je me suis remis à l’électricité, j’ai même poussé le zèle jusqu’à acheter une physique. C’est d’ailleurs interessant, j’avoue que je regrette de n’en avoir pas fait plus serieusement quand j’étais gosse… mais j’ai des regrets semblables pour tout ce que j’effleure maintenant, science ou art.
A partir de 4 heures on est generalement libre. Le plus souvent je rentre dans ma chambre pour y lire ou y écrire. Hier grande diversion et grande joie, en sortant des cours du matin je rencontre Alexandre de Faye qui sortait de la gare, rentrant de permission, et traversait la ville. Il y restait quelques heures ; nous avons été à la recherche de [Frank] Suan et avons vu passer un bon moment ensemble après dejeuner. J’ai rarement vu un type aussi decidé, courageux et enthousiaste.
Après diner je vais souvent raccompagner [Frank] Suan chez lui, et les souvenirs de faculté ou de camp de vacances tiennent une grande place dans ces bavardages.
Avant-hier nous avons formé un projet grandiose : profiter de la permission du Dimanche pour aller voir les Scheurer. J’espère que ça pourra coller, mais c’est subordonné à des conditions multiples : permissions, moyens de transport, etc.
Une des superiorités de ce cour sur le précedent c’est qu’on y reçoit des lettres. Il est vrai que c’est pour apprendre que vous êtes tous mal en point. J’espère que tout ça se tasse.
[Frank] Suan m’a fait lire un petit livre de vers et je suis tout penetré de cette lecture ces jours-ci. C’est de [Jean] Fontaine-Vive, un etudiant du groupe de Lyon, d’origine catholique que j’avais connu à Domino, et qui a été tué il y a quelques mois. Je le connaissais au point qu’il m’avait annoncé ses fiançailles avant qu’elles soient officielles, et c’est ce livre pourtant qui me l’a revélé. Il y a là dedans une flamme extraordinaire. On peut être fier d’appartenir à la Fédération qui crée des personnalités pareilles.
Ma chère Maman
La vie est ici beaucoup plus agreable qu’a l’escadrille. D’abord le soleil s’est mis à briller et mon cœur de meridional marche presque toujours avec le soleil. Entre les cours je passe volontiers quelques demi-heures dans ma chambre où je suis très bien installé. Hier soir j’ai revu longuement Suan. Il m’a donné de quoi lire, en particulier les vers d’un de nos amis communs, Fontaine-Vive1 de Lyon qui a été tué cet automne et qui est un des saints de la guerre. C’est lui qui montait à l’assaut avec ses poilus Cevenols en chantant des psaumes.
Nous mangeons dans un immense refectoire où nous sommes plusieurs centaines.
Hier on nous a fait passer – aux officiers de liaison – un véritable petit bachot. Je fais le projet de demander un dimanche une permission pour la vallée et m’échapper jusque chez les Scheurer un dimanche ; mais ça me parait très peu réalisable.
Source : Wikimedia |
Les tramways qui circulent dans la ville sont absolument les frères jumeaux de ceux de Cette. Ça me donne des distractions.
Un peu plus tard c’est à Belfort que je vais suivre des cours pour rafraîchir et compléter mes connaissances assez élémentaires en électricité.
Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )Source : collections BDIC |
Ma chère Maman
Me voici à B. [Belfort]. J’ai quitté mon escadrille après dejeuner profitant d’une auto qui m’a conduit à destination. Neige. Routes effroyables.
Ici j’ai suivi le conseil qui m’était donné de m’installer à l’hotel ou moyenant un petit supplement à mon billet de logement je serai plus independant et certainement chauffé. Je serai donc materiellement aussi bien que possible.
Une deception m’attendait, et aussi un veritable joie. La deception c’est que le cours sera plus long que ce que je pensais. Il ne finira pas avant le 25 Mars.
La joie, c’est la rencontre sur le trottoir de Frank Suan, élève à la maison des missions, un bon ami de Paris, actuellement sous lieutenant de chasseurs et instructeur pour le canon de 37. C’est une des nombreuses cellules du système de cours qui fonctionne ici, car il faut te dire que le cours de radiotelegraphie n’est que la centième partie de ce système. On dit que actuellement la moitié de l’armée française suit des cours, et l’autre moitié en donne. Je vais d’ailleurs faire une demarche pour suivre au lieu du cours de radiotélegraphie le cours de liaison telephonique qui sera beaucoup plus à ma portée, et me sera beaucoup plus profitable.
Avant de quitter L. [Luxeuil-les-Bains] j’ai enfin reçu trois lettres de toi et d’autres qui s’étaient accumulées au 132.
Jusqu’à nouvel ordre, ecris moi à l’adresse suivante
Pardonne-moi les déceptions successives que je t’ai donné avec ma permission. Ne parlons plus de cette dernière. Et dis-toi bien que ces jours-ci je suis aussi bien qu’on peut l’être aux armées.
Ma chère Maman
Je t’écris du Foyer du soldat où je suis venu passer un moment avec Seigneur et ses compagnons. C’est là que j’aurai passé les heures les plus agreables de mon sejour à l’escadrille. Presque tous les jours je suis venu y prendre le thé. Je pars demain, profitant d’une auto qui me conduira directement à B. [Belfort], où je suivrai pendant 10 jours un cours de radiotelegraphie.
Esperons que d’ici là rien de nouveau ne se sera produit et que je pourrai enfin prendre mon vol vers des rivages plus lumineux
Cet après-midi le soleil avait des velleités de se montrer ; nous sommes allés Seigneur et moi faire une petite ballade dans la campagne. Ce matin nous sommes allés pour la dernière fois au champ d’aviation entendre la dernière conference de Parlier.
Source : collections BDIC |
Mon voisin de table, Daurin [?], est aussi un Montpellérain, mais je crois que son père, general, n’habite Montpellier que depuis la guerre.
Voilà 8 jours que je suis sans lettre. Le temps me dure.
Maman chérie
Notre cours finit demain. Je partirai pour B. [Belfort] demain ou après demain suivre l’autre. Il fait toujours un sale temps qui empêche de voler.
Je sors d’une séance de cinema absolument idiote.
Source : collections BDIC |
Ce qui est embêtant ici c’est que je ne reçois aucune lettre. Je ne sais pas à quoi pense le vaguemestre du 132e.