lundi 23 avril 2018

Fin avril 1918 – Une permission longtemps attendue

Je n’y fais pas un long séjour car une nouvelle permission, attendue avec impatience, m’est enfin accordée.

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )

dimanche 22 avril 2018

Deuxville (Meurthe-et-Moselle), 22 avril 1918 – Jean à sa mère

22/4/18

Ma chère Maman

Nous voici en secteur si l’on peut appeler ça une vie de secteur. Nous sommes en reserve dans un village évacué mais presque jamais bombardé.

Source : Généanet

Nous voisinons avec un groupe d’artillerie, et comme par hasard c’est le groupe d’Hervé  [Leenhardt] ; hier nous avons été invités à sa popote [Marcel] Simonin et moi. La soirée s’est terminée par le bridge traditionnel.

Je ne t’ai pas encore beaucoup parlé de mes compagnons.

Simonin, un vieux camarade que tu as vu à Chartèves et qui est un commandant de Cie parfait. Il est extremement brave et adoré de ses poilus. Jusqu’à ces derniers jours nous étions les seuls officiers de la Cie, un nouveau promus, Vauthier et un ancien lieutenant Cogniard se sont ajoutés à nous. Le premier semble un peu mou, mais très gentil, l’autre qui est arrivé hier d’un régiment dissous a été précédé par sa reputation de bon chef et de bon camarade.

Il fait un temps de chien. Ce matin il a même neigé plusieurs heures. Nous sommes obligés d’allumer du feu.

Tu me demandes si tu peux aller à Marseille. Oui, car la reprise des permissions me parait toujours extremement douteuse. En tous cas tu peux faire une chose : me prevenir par lettre 5 jours avant ton depart ; si par bonheur j’avais une permission, je saurais où te trouver et je viendrais te prendre à la villa Svéa.

Mais il ne faut pas se faire trop d’illusions.

Je t’embrasse tendrement.

Jean

samedi 21 avril 2018

Printemps 1918 – En réserve à Deuxville

Source : collections BDIC


D’ailleurs pour le moment notre compagnie est en réserve dans un village, qui n’est presque jamais bombardé.



Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )

vendredi 20 avril 2018

Deuxville (Meurthe-et-Moselle), 20 avril 1918 – Jean à sa mère

Source : collections BDIC
20/4/18

Maman chérie

Nous sommes sur le point de prendre secteur. La Cie sera en reserve. C’est dire que notre vie ne sera pas bien dure. La seule chose pénible c’est de subir matin et soir les recits de bataille de notre brave capitaine Dufour. Il est intarissable. Ce matin je suis allé à la ville voisine L [Lunéville] faire quelques achats. Mon ordonnance fait ma cantine et moi mes preparatifs.

Tendrement
Jean

jeudi 19 avril 2018

19 avril 1918 – Changement de cantonnement

JMO du 132ème R.I. - 19 avril 1918

mercredi 18 avril 2018

18 avril 1918 – Rien à signaler

JMO du 132ème R.I. - 18 avril 1918

mardi 17 avril 2018

Domptail (Vosges), 17 avril 1918 – Jean à sa mère

17/4/18

Ma chère Maman

Hier j’ai eu une agreable surprise ; j’etais en train de faire une partie de bridge avec les deux docteurs et un camarade lorsque Lucien [Benoît, cousin germain de Jean] est arrivé. Je ne m’attendais pas du tout à sa visite, j’avais tout à fait oublié le numero et son armée, et je n’avais pas l’idée qu’il puisse être par ici.

Il avait pretexté une tournée pour pouvoir venir me voir, car il ne lui est pas facile de quitter son bureau. Je l’ai donc accompagné dans sa tournée en auto ce qui m’a procuré le plaisir de voir du pays et surtout de passer quelques bonnes heures avec lui. Il m’a donné quelques tuyaux sur le secteur que nous allons prendre, un excellent secteur.

A l’aller, nous sommes allés voir Gilbert [Leenhardt], très ouvert et affectueux, au retour Hervé [Leenhardt], toujours moins expensif, ça a frappé Lucien comme ça m’avait frappé. Lucien a pu me denicher parcequ’il avait rencontré le colonel [Adrien] Perret à l’Armée il y a quelques jours. Nous nous sommes promis de nous revoir le plus souvent possible. Nous avons ainsi passé presque toute une après-midi ensemble.

Le matin il y avait eu revue et remise de décoration. Il faisait malheureusement un temps lamentable et la pluie et la boue terniraient le plus beau defilé.

JMO du 132ème R.I. - 16 avril 1918

Aujourd’hui je commande la Cie, [Marcel] Simonin étant parti en reconnaissance de secteur.

JMO du 132ème R.I. - 17 avril 1918

Nous avons reçu les bleux de la classe 18. Ils ont generalement assez bonne mine. J’ai une petite section qui m’a l’air de devoir pas trop mal marcher.

J’ai reçu aujourd’hui une carte de Léo Viguier qui me dit avoir dû quitter Paris pour l’Aveyron, absolument à bout de force. Elle doit être vraiment malade puisqu’elle me dit : « Je suis dans un tel état de fatigue que je me demande si je reprendrai jamais la vie normale. »

Reçu aussi une bonne lettre de Mme Scheurer. Le petit coin de vallée est retourné au calme.

Bien tendrement à vous
Jean

lundi 16 avril 2018

Domptail (Vosges), 16 avril 1918 – Jean à sa mère

17/4/18
[Date erronée (17 au lieu de 16 avril), la lettre suivante étant aussi datée du 17, mais à juste titre, puisqu’elle fait allusion à un évènement corroboré par le JMO.]

Ma chère Maman

Nous passons dans le calme l’anniversaire des dures journées de l’année dernière [l’offensive du Chemin des Dames, où le 2ème bataillon avait eu d’énormes pertes].

Source : collections BDIC

Hier Dimanche je suis allé dejeuner avec Hervé [Leenhardt] qui habite un village voisin. Il ne sait pas autre chose sur Guy [Leenhardt] que ce que j’ai écrit à Montpellier. J’ai reçu d’ailleurs au sujet de ma lettre des reponses très affectueuses et reconnaissantes de oncle Eugène [Leenhardt], oncle Fernand [Leenhardt], tante Lucy et tante Inès.

Hier après-midi, match de foot-ball, musique. Tout le régiment est réuni à 1500 mètres d’ici ; c’est le repos bruyant et presque joyeux. Nous sommes loin de la partie qui se joue autre part et sans nous, et de ses realités un peu tristes.

Je ne comprends pas ton étonnement de me voir à la 6me – je t’ai bien dit que je ne serais officier téléphoniste qu’en cas de depart de Le Gall.

Quant aux fonctions d’officier de liaison à l’infanterie on ne les remplit qu’en cas de combat. D’ailleurs, si ce n’était pour toi, je m’y déroberais bien, car le travail de compagnie est autrement interessant.

Tendrement à toi, Maman cherie
Jean

dimanche 15 avril 2018

Avril 1918, un secteur calme

Nous occupons un vaste secteur à l’ouest de la forêt de Parroy, un des coins les plus calmes du front. Il y a jusqu’à deux kilomètres de distance entre les positions françaises et allemandes.

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )


Source : collections BDIC

samedi 14 avril 2018

14 avril 1918 – Repos

JMO du 132ème R.I. - 14 avril 1918

vendredi 13 avril 2018

Marcel Simonin (1893-1968)

Dans sa lettre récente du 4 avril 1918, Jean écrivait :

Me voici de retour à la sixième. J’y ai passé moins de temps qu’à la cinq et je connais moins les poilus ; mais j’ai l’avantage d’avoir pour Cdt de compagnie [Marcel] Simonin, qui est un excellent camarade et un chic type. Il vient de recevoir la Legion d’honneur et je te prie de croire qu’il ne l’a pas volée.

Dans ses mémoires, Jean évoque des souvenirs plus légers, passés sous silence dans ses lettres à sa mère :
Source  : Wikipédia

Mon commandant de compagnie est Simonin1, bon camarade et officier courageux, mais un peu suffisant et énervant quand il raconte ses bonnes fortunes et fait son petit Don Juan. Il se figure qu’aucune femme ne peut lui résister. Il faut reconnaître qu’il a un certain succès, bien qu’il ne soit pas beau.

A la popote il chante des chansons à la mode sentimentales et langoureuses :

« C’est sous le ciel de l’Argenti-ine
Où les femmes sont divi-ines
Au son des musiques cali-ines
En dansant le Tango2»

ou encore « Sur le bord de la Riviera, où murmure une brise embaumée… ».

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )
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1 Marcel Simonin (1893-1968) que Jean mentionne à de nombreuses reprises dans sa correspondance, et pour lequel il avait visiblement de la sympathie et de l’admiration, fait l’objet d’un article sur Wikipédia écrit par Thierry Collet. Sorti du rang, devenu capitaine à la fin de la première guerre, il termina sa carrière militaire comme lieutenant-colonel.
2 Il semble que les paroles exactes sont « C’est sous le ciel de l’Argentine / Où la femme est toujours divine / Qu’aux sons des musiques câlines / On danse le tango ! »

jeudi 12 avril 2018

Domptail (Vosges), 12 avril 1918 – Jean à sa mère

12/4/18

Ma chère Maman

Nous voici arrivés à bon port après un voyage long et fatigant. Un petit village ensoleillé, loin du charoi des grandes routes ; d’ailleurs par ici le charoi des grandes routes est très reduit. Nous serions au repos pour quelques jours ; après nous prendrions un secteur – un des coins les plus calmes du front. Si j’ai le temps et les moyens de transport j’irai voir un de ces jours les Bertrand dont je ne suis pas très éloigné ; au passage en train dans leur ville [Nancy] j’ai vu Pierre Durand et sa femme [Anna Célina Eugénie Vincent (1889-?)] qui prenaient l’air sur leur balcon mais je n’ai pas pu leur faire signe.

Avec ce « coup de chien » nous n’avions pas eu le temps de voir arriver le printemps. Maintenant c’est un éblouissement : fleurs, verdure, oiseaux, tiédeur.

Nous sommes deux compagnies1 et l’état major du bataillon perdus dans un tout petit village où nous sommes d’ailleurs parfaitement bien.

Je vis avec [Marcel] Simonin qui est à la fois mon commandant de Cie et un excellent camarade.

Source : collections BDIC

Notre chef de Bataillon [le capitaine Dufour], lui est beaucoup moins bien. Il n’est pas méchant, laisse faire à chacun ce qu’il veut, même beaucoup trop, surtout il est tout à fait désequilibré. Il nous faut subir d’un bout à l’autre de la journée le recit de ses campagnes. Les derniers succès de son bataillon l’ont particulièrement excité et il nous rendra tous fous si ça continue. Malgrès les manifestations les plus nettes nous ne pouvons pas arriver à lui faire comprendre qu’il nous embête. Enfin !

Je vous embrasse bien tendrement mes chéris ; votre

Jean

Je n’ai pas encore eu vraiment de temps de reprendre contact avec mes poilus ; je t’en parlerai une autre fois.

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1 La 6ème et la 7ème, donc, d’après le JMO de la veille.

mercredi 11 avril 2018

En route vers la Lorraine, 11 avril 1918 – Jean à sa mère

11/4/18

Ma chère Maman

Nous roulons depuis 24 heures. Nous refaisons en sens contraire le chemin que nous avons fait il y a 18 jours pour raccomoder le front. Nous esperons un petit secteur tranquille. Nous y libererions une division qui pourrait donner aux Anglais le coup d’épaule dont ils semblent avoir bien besoin.

JMO du 132ème R.I. - 11 avril 1918
Tendrement
Jean

mardi 10 avril 2018

10 avril 1918 – De l’Oise à la Lorraine

JMO du 132ème R.I. - 10 avril 1918

Après quelques jours à l’arrière front nous reprenons le train le 10 Avril. Il nous amène cette fois en Lorraine. Depuis le retour de Le Gal j’ai repris mes fonctions de chef de section. Je suis affecté de nouveau au 2ème bataillon, mais à la 6ème compagnie.

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )


Source : collections BDIC
Place de l'Eglise ; passage du 132e R.I.
La photo étant datée du 10 avril 1918, son auteur a donc pris "sur le vif" le régiment en train de quitter Esquennoy.

Source : collections BDIC
Une rue ; passage du 132e R.I.
La photo étant datée du 10 avril 1918, son auteur a donc pris "sur le vif" le régiment en train de quitter Esquennoy.

samedi 7 avril 2018

Esquennoy, 7 avril 1918 – Jean à sa mère

Source : collections BDIC
7/4/18

Maman chérie

Il parait que nous repartons demain On dit que nous allons reprendre un secteur calme. En tous cas nous ne retournons pas en ligne par ici. Comme les marionettes : « Trois petits tours et puis s’en vont ».

Je t’écris ça pour te rassurer mais pas pour te donner l’espoir d’une permission prochaine, puisque les permissions sont supprimées maintenant pour toutes les armées.

Et pourtant j’en aurait des choses à vous raconter. Cette guerre est si differente de celle que nous avons fait jusqu’à maintenant.

Une chose qui a fortement contribué à maintenant le moral des poilus, c’est qu’on pouvait vivre sur le pays, dans des villages completement abandonnés et deja bombardés qui pourraient passer d’une minute à l’autre aux mains des boches. On vivait de volailles et de lapins, on tuait même des veaux et des cochons, on buvait du vin bouché… Tout ce qu’il faut pour se donner du cœur au ventre.

Je suis toujours très heureux dans mon vieux 2ème Bataillon où revivent les bonnes traditions d’autrefois, si bien des figures ont changés.

Bien tendrement
Jean

vendredi 6 avril 2018

Esquennoy, 6 avril 1918 – Jean à sa mère

6/4/18

Ma chère Maman

Rien de nouveau. On parle de notre depart, mais nous sommes si peu fixés sur notre sort que nous ne savons pas si c’est pour aller à l’arrière ou à l’avant. J’ai ecrit hier à Madame Scheurer [Marie-Anne Dollfus ép. Jules Scheurer]. J’avais appris le jour de mon depart de Belfort qu’un obus avait atteint sa maison, sans faire d’autres degats que les degats materiels, heureusement. Depuis, avec le coup de chien que nous avons eu je n’avais pas pu lui écrire.

J’ai reçu un mot de Léo Viguier qui me demande de faire une des méditations du congrès de Montpellier. Il est bien temps !

Je viens de revoir Ducamp dont le terrain d’aviation est tout proche.

Source : collections BDIC

J’ai essayé à plusieurs reprises cette semaine de reunir les protestants du regiment. Ça n’a pas été possible faute de local, d’heure où chacun soit libre.

Je vous embrasse tendrement.

Jean

Si tu savais comme les photos de Suzon me font plaisir. Je ne me lasse pas de les regarder ; je montre avec fierté à mes camarades que chez moi comme sur le front, il y a des saucisses.

jeudi 5 avril 2018

Esquennoy, 5 avril 1918 – Jean à sa mère

5/4/18

Maman chérie

Vie paisible à l’arrière du front de bataille. Pas assez à l’arrière pourtant pour être tout à fait tranquilles. Le canon ne nous embête pas mais la circulation. C’est un flot d’autos ininterompu de jour et de nuit par la route qui traverse le village.

Source : collections BDIC

Source : collections BDIC

C’est une consolation d’ailleurs, on sent qu’il y a quelque chose pour retenir les boches, tandis que quand nous sommes arrivés, c’était le desert. On peut bien le dire maintenant puisque les journeaux eux-même le disent. Nous avons été engagés bataillons après bataillons en sautant du train pour boucher un énorme trou. Il n’y avait pratiquement rien devant nous, tout lachait ; on ne rencontrait sur les routes que de malheureuses femmes trainant dans des guimbardes des enfants et des meubles. C’était le tragique de 1914. Nous savons maintenant ce que c’est que la rase campagne. Aussi nous sommes très fier du régiment et de la division. Je n’ai jamais vu un entrain pareil chez les poilus. J’ai une excellente section et un bien chic commandant de Cie [Marcel Simonin]. Vraiment ça m’embêterait que Le Gall s’en aille et que je ne puisse pas travailler avec ces types-là.

Bien tendrement
Jean

mercredi 4 avril 2018

Esquennoy, 4 avril 1918 – Jean à sa mère

5/4/18
[Lettre datée du 5 avril mais datant vraisemblablement du 4, puisque le courrier suivant est aussi daté du 5]

Ma chère Maman

Avant-hier je t’ai écrit hativement ayant couru toute l’après-midi après le 49me Bataillon des Chasseurs pour avoir des nouvelles de Guy. Je t’ai dit qu’il était disparu. J’ai donné à oncle Eugène tous les détails que j’ai pu receuillir. Il y a beaucoup de chances pour qu’il soit prisonnier.

C’est arrivé à plusieurs petits groupes de la Division de ne pouvoir se dégager à temps et d’être pris. Les chasseurs ont eu plus de pertes que nous. Nous avons été plus heureux aussi.

Source : collections BDIC

Le moral du regiment est splendide.

Je reçois tes lettres. La collection de photos que contenait la dernière m’a fait un plaisir énorme. Elles sont très amusantes et evoquent à la fois la ville et la famille.

Hier je t’ai fait un envoi de 500 frs. Tu seras peut-être étonnée de recevoir cette somme considerable. Je te renvoie les 150 frs que je venais de recevoir de toi et dont je n’ai plus besoin, plus le fameux rappel de solde. Je croyais que c’était toi qui aurais du le toucher directement, il parait qu’il n’en est rien.

Me voici de retour à la sixième. J’y ai passé moins de temps qu’à la cinq et je connais moins les poilus ; mais j’ai l’avantage d’avoir pour Cdt de compagnie [Marcel] Simonin, qui est un excellent camarade et un chic type. Il vient de recevoir la Legion d’honneur et je te prie de croire qu’il ne l’a pas volée. J’aime moins mon chef de bataillon, le capitaine Dufour, mais il y a plus mal.

D’ailleurs j’ai un peu choisi ma compagnie ; c’est le privilège des types qui viennent d’un Etat Major.

Bien tendrement à toi
Jean

mardi 3 avril 2018

Esquennoy, 3 avril 1918 – Jean à sa mère

Source : collections BDIC

3/4/18

Maman chérie

Seulement un petit mot, car je viens d’ecrire une longue lettre à oncle Eugène [Leenhardt] pour lui dire que Guy était disparu, et lui raconter les circonstances de sa disparition.

Je ne crois vraiment pas qu’il lui soit arrivé malheur – si ce n’est pas un malheur d’être prisonnier.

A ma grande joie je suis affecté à la 6e Cie avec [Marcel] Simonin, que j’aime beaucoup. Ce dernier vient d’être décoré de la légion d’honneur. Une croix qui n’est pas volée.

JMO du 132ème R.I. - 3 avril 1918
Tendresses, tendresses
Jean

Esquennoy, 3 avril 1918 – Jean à son oncle Eugène Leenhardt

[Lettre non datée, mais datable du 3 avril, cf. lettre de Jean à sa mère le même jour]

Mon cher Oncle,

Notre Division descend au repos après une période de combats. Toute l’après midi, j’ai couru après le 49e Bataillon pour retrouver la bonne figure souriante de Guy [Leenhardt]. A ma grande peine je viens d’apprendre qu’il était disparu depuis le 30. Je vous écris tout de suite, ne connaissant pas l’adresse de tante Inès1.

Les circonstances dans lesquelles il est disparu laissent beaucoup d’espoir, les voilà d’ailleurs en quelques mots telles que me les a données son sergent, chef de demi-section. Il venait de quitter sa ½ section étant désigné comme agent de liaison auprès de son capitaine. Les Boches avançaient. Le capitaine s’est trouvé encerclé sans avoir pu se dégager (avec sa liaison et un peloton). On n’a plus de nouvelles de ce groupe, le terrain n’ayant pas été repris l’hypothèse la plus vraisemblable c’est qu’il a été fait prisonnier.

Tous ceux qui ont approché Guy depuis le 27 ont remarqué son entrain et son courage. Quelques minutes avant d’être pris il a failli être blessé, une balle lui a effleuré l’épaule faisant sauter son équipement ; elle s’est logée dans sa culotte. C’est le sergent de Martelarre 7e Cie 49e Bataillon C.P. – S.P. 176 qui m’a donné ces détails.

Les Boches traitaient bien les prisonniers. En toute franchise, je crois qu’il y a de grandes chances pour que Guy soit vivant. Mais je plainds énormément son père et sa mère d’avoir à passer par ces angoisses que vous connaissez vous-mêmes si bien mon cher oncle2.

Je crois pouvoir vous dire sans trahir les secrets de la défense Nationale que tout cela s’est passé sur la côte 104 au nord du village de Fontaine-sous-Montdidier.

Inutile de vous dire que je partage toutes vos angoisses au sujet de Guy partageant l’affection que vous avez pour lui. C’était pour moi une vraie joie de le sentir près et les quelques heures que nous avons passées ensemble m’ont attaché à lui fortement. Tenez moi au courant des recherches que vous allez faire.

Je l’ai revu mercredi soir 27. Cette journée avait été la plus triste sinon la plus dure, il avait supporté ce premier contact du feu avec calme et vaillance. Nous nous sommes embrassés comme deux frères sans pouvoir nous dire grand-chose. Ces rencontres dans des moments pareils sont infiniment précieuses.

Je devais partir en permission aujourd’hui. Malheureusement j’ai été raccroché au dernier moment. Je suis designé pour suivre un cours du 19 au 26 à une escadrille du corps d’armée.

J’avais d’ailleurs eu le bonheur quelques heures avant de rencontrer Gilbert [Leenhardt]. Aux dernières nouvelles son frère [Hervé Leenhardt] et lui était en parfait état mais ils sont restés sur la brèche.

Je crois que la Division n’a pas peu contribué à rétablir une situation assez compromise. Au 132e nous sommes fiers d’avoir fait subir de très lourdes pertes aux boches, de leur avoir repris deux villages, des prisonniers et des mitrailleuses. Nous avons fait à nous seuls pendant deux jours tous les frais des communiqués.

Actuellement je crois que ça va vraiment mieux. Pardonnez-moi, mon cher oncle, d’être si triste messager. Mais je ne puis croire qu’il soit arrivé malheur à votre Guy.

Bien affectueusement à vous tous.

J. Médard S./L.
6e Cie. 132e régiment d’infanterie
Sect. Postal 176


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1 Inès Leenhardt (1871-1939) épouse d’Arnold Leenhardt (1868-1950), est la mère de Guy. Elle est aussi la sœur d’Eugène Leenhardt à qui Jean adresse cette lettre. Tous deux sont des cousins germains de Mathilde Benoît, mère de Jean.
2 Le fils aîné d’Eugène Leenhardt, Robert (1892-1948), avait été fait prisonnier en août 1914. Ses parents étaient restés plusieurs semaines sans nouvelles. Robert a plus tard (mai 1917) été évacué en Suisse, sans doute pour des raisons de santé, qui ne sont pas précisées dans la correspondance en ma possession.

lundi 2 avril 2018

Esquennoy, 2 avril 1918 – Jean à sa mère

JMO du 132ème R.I. - 2 avril 1918
Source : collections BDIC
2/4/18

Maman chérie

Aujourd’hui journée de délassement : on dort, on se lave, on perçoit comme dans un rêve le mouvement exterieur. Le regiment n’a eu à deplorer que la mort de deux officiers, commandant chacun un bataillon, le capitaine Luc et le capitaine De La Haye. Nous avons fait du très bon travail et on est assez content de nous.

Nous cantonnons près d’un champ d’aviation. J’ai eu la joie d’y rencontrer Ducamp. Il a dejeuné avec nous. Il venait d’être descendu par un boche à proximité des lignes, mais il a pu atterir sans dommage.

Source : collections BDIC

Le moral de tous est excellent.

Les permissions sont supprimées.

Tendresses
Jean

dimanche 1 avril 2018

En descendant des lignes, 1er avril 1918 – Jean à sa mère

JMO du 132ème RI. - 1er avril 1918



1r/4/18

Ma chère Maman

Voilà nos fêtes de Pâques terminées. Nous descendons des lignes, si le mot de ligne peut s’appliquer à cette nouvelle guerre de rase campagne.

Source : collections BDIC
Le 2e bataillon du 132e R.I. revenant des lignes

Il est exceptionnel qu’un document photographique coïncide aussi parfaitement avec une lettre de Jean.
« Le 2ème bataillon du 132ème RI revenant des lignes - 1er avril 1918 » dit la légende de la photo.
Jean appartenait au 2ème bataillon du 132ème RI, et le 1er avril il écrit à sa mère « Nous descendons des lignes. »
J’aime à penser qu’il est là, quelque part, silhouette non identifiable sur l’une des trois photos de la série.
Source : collections BDIC
Le 2e bataillon du 132e R.I. revenant des lignes et auto-mitrailleuses
Source : collections BDIC
Halte du 2e bataillon du 132e R.I.

Tout le 132es’est vraiment distingué.

Il y a eu une casse assez forte, mais surtout des blessés. Tout le monde est très fatigué, mais le moral est excellent. Il faut dire que le régiment a fait à lui seul pendant deux jours les frais du communiqué au sujet « la plus grande bataille de la guerre ». Nousavons fait près de 100 prisonniers.


Source : Gallica
Le Petit Journal des 27 mars et 30 mars et Le Petit Parisien des 29 mars et 30 mars

Mon role a été tout à fait insignifiant. J’ai remplacé Le Gall qui était en permission, mon service a bien fonctionné, mais je n’y suis pour rien et je n’ai pas eu à payer de ma personne.

Je n’ai pas pu revoir depuis Mercredi le bataillon de Guy [Leenhardt][le 49èmeB.C.P.] qui a eu d’assez fortes pertes. Il me tarde beaucoup d’avoir des nouvelles.

Inutile de te dire qu’il n’est plus question de permission. Ce n’est pas le moment de s’en aller. Je pense pourtant que nous allons nous reformer à l’arrière pendant quelques jours.

Tendrement
Jean