jeudi 12 avril 2018

Domptail (Vosges), 12 avril 1918 – Jean à sa mère

12/4/18

Ma chère Maman

Nous voici arrivés à bon port après un voyage long et fatigant. Un petit village ensoleillé, loin du charoi des grandes routes ; d’ailleurs par ici le charoi des grandes routes est très reduit. Nous serions au repos pour quelques jours ; après nous prendrions un secteur – un des coins les plus calmes du front. Si j’ai le temps et les moyens de transport j’irai voir un de ces jours les Bertrand dont je ne suis pas très éloigné ; au passage en train dans leur ville [Nancy] j’ai vu Pierre Durand et sa femme [Anna Célina Eugénie Vincent (1889-?)] qui prenaient l’air sur leur balcon mais je n’ai pas pu leur faire signe.

Avec ce « coup de chien » nous n’avions pas eu le temps de voir arriver le printemps. Maintenant c’est un éblouissement : fleurs, verdure, oiseaux, tiédeur.

Nous sommes deux compagnies1 et l’état major du bataillon perdus dans un tout petit village où nous sommes d’ailleurs parfaitement bien.

Je vis avec [Marcel] Simonin qui est à la fois mon commandant de Cie et un excellent camarade.

Source : collections BDIC

Notre chef de Bataillon [le capitaine Dufour], lui est beaucoup moins bien. Il n’est pas méchant, laisse faire à chacun ce qu’il veut, même beaucoup trop, surtout il est tout à fait désequilibré. Il nous faut subir d’un bout à l’autre de la journée le recit de ses campagnes. Les derniers succès de son bataillon l’ont particulièrement excité et il nous rendra tous fous si ça continue. Malgrès les manifestations les plus nettes nous ne pouvons pas arriver à lui faire comprendre qu’il nous embête. Enfin !

Je vous embrasse bien tendrement mes chéris ; votre

Jean

Je n’ai pas encore eu vraiment de temps de reprendre contact avec mes poilus ; je t’en parlerai une autre fois.

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1 La 6ème et la 7ème, donc, d’après le JMO de la veille.