mardi 8 mars 2016

Sète, 8 mars 1916 – Mathilde à son fils

Cette le 8 Mars 1916
            Mon bien chéri, 

            Hier soir le courrier ns a apporté quatre missives de toi ! tu peux te figurer ce qu’a été ma joie ! hélas elles sont vieilles de 28 Février ; tu étais au cantonnement, depuis, tu es aux tranchées, et je ne sais le temps qu’il  me sera donné d’attendre à nouveau.
            J’ai eu une très chère image de toi. Tu peux penser ce qu’elle m’a fait plaisir. Je cherchais tellement à te voir avec le bonnet de police : as-tu aussi le casque ! J’aimerais tellement aussi voir ta frimousse dessous.
            T’ai-je assez dit le plaisir que m’a causé ton portrait au crayon fait par toi[1] ; il est pour moi tout à fait parlant. Pr les étrangers ce n est pas toi, je puis en convenir mais pour moi c’est exquis !! C’est toi ta pose lorsque tu écris acoudé et que tu relèves la tête pour réfléchir.
            Je ne t’enverrai donc pas de lainage puisque tu n’en veux pas. Il me semble cependant qu’un gilet chaud doit bien te manquer, plutôt un plastron chaud. Quand aux provisions le poids accepté à la poste limite extrêmement les choses. Je pensais bien à t’envoyer cependant un rôti de veau cuit, et j’y renonce en voyant ce que les colis mettent actuellement en route. Tu n’as peut être pas reçu les deux que j’ai envoyés et celui de tante Fanny ?
            J’ai eu ce matin un mot de tante Suzanne [Benoît, née Bergis], elle me réclame à grands cris car son dernier bébé [Marthe Benoît (1914-2004)] est assez malade. Elle me dit même qu’elle m’appellera par dépêche si l’etat s’aggravait. Je suis fort ennuyée, car mon enterite s’est accentuée et Suzie ne veut pas me laisser partir dans cet état. J’y serai allé sans cela tout de suite. Elle est sans nouvelles de son frère Armand [Bergis] qui est en pleine fournaise et ils sont tous bien malheureux. Je le comprends. C’est en effet un grand privilège que tu ne sois pas dans ce secteur ! Mais que réserve l’avenir ? On n’ose se réjouir de rien, se féliciter de rien et l’on vit une vie bien usante bien terrible.
            Je demande à Dieu de me donner ton moral, mon bien cher enfant : tu es toujours satisfait de ton sort, content de l’état où tu te trouves. Que cela puisse durer ? c’est tout mon désir. Et là-dessus je t’embrasse avec la plus vive et la plus profonde tendresse. Je vais à la maison faire l’inventaire de ce que je laisse. Suzie a été bien heureuse de la carte qui lui est adressée.
Encore un baiser 

Ta mère qui t’aime
Math P. Médard

[1] Voir lettre de Jean du 24 janvier 1916.