Cette
le 17 mars 1916
Mon bien aimé enfant !
J’arrive de Montpellier un peu
brisée par toute une journée sur mes vieilles jambes et néanmoins j’écris vite
vite quelques lignes après le diner que je vais en hate porter à la poste pour
que tu ne sois pas un jour sans lettre ! J’ai eu, à l’arrivée, ta carte du
12 et ta lettre, ta bonne chère lettre du 12. Je te remercie de me raconter
bien franchement ce que tu as vu, ce que tu as vécu dans cette minute tragique
dont le récit me bouleverse ; de mon cœur monte un cri de reconnaissance
au Père qui t’a gardé. Tu devais être à côté du pauvre enfant qui a été la
victime puisque tu l’as reçu dans tes bras ! Dis-le moi ! J’aime
mieux que tu me dises tout cela et surtout que tu ne me caches rien. Lorsque
tout est parfait comme tu ne cesses de le dire, je tremble tout de même à
l’idée de ce que tu caches. Pauvre enfant était-ce un Breton, un jeune ?
A-t-on prévenu sa mère ? Ah quelle est juste qu’elle est vraie ton
indignation, qu’il est vrai ton ecœurement. Tout ce sang, toute cette jeune vie
anéantie brutalement en pleine promesse pourquoi ? Tu es heureux mon cheri
d’être soutenu fortifié par l’Evangile. Ils n’ont pas tous cette consolation,
la seule.
Et toi tu pourrais être celui là et
ce soir je pourrais apprendre cette chose horrible !
J’ai déjeuné chez les Eugène [Leenhardt] ; ils ont des nouvelles de Robert [Leenhardt] et se trouvent privilégiés. J’ai vu en
passant une revue, c’était très impressionnant. Très émouvant beaucoup de
blessés décorés. Pauvres gars : à l’un il manque un bras, à l’autre une
jambe. C’est poignant. Je ne pouvais retenir mes larmes ; personne ne me
voyait, j’ai pu me dégonfler un peu. Oncle Fernand [Leenhardt] est encore à Marseille. Je n’ai pas trouvé tante
Olga[1] !
la pauvre elle ferme sa maison n’ayant plus de pensionnaires et elle se réfugie
avec sa mère à Codognan chez les Rouché ! pauvre amie ! quelle vie
dépouillée. Mme Winberg m’a reçu, elle est presque inconsciente. On
ne savait encore rien à Montpellier des combattants de Verdun. Plusieurs sont
là-bas ! Combien je suis heureuse que Léo, Maury, Grauss, soient en santé.
Notre armée est vaillante, elle est
forte ! C’est une merveille que de tenir ainsi ! Mais !!!!
Je t’en dirai plus long demain. Je
suis lasse ! Te reposes-tu sérieusement ! Quand vas-tu reprendre le
collier. Est-ce demain ? Ou avez vous un plus long repos.
Je ne pensais pas qu’il put y avoir
des concerts au front ! Je suis très étonnée.
Mille
bons baisers bien tendres où je mets bien des choses
Ta maman
Combien de kilomètre de boyaux pr
aller au bourg ou au dernier cantonnement. As-tu vu le colonel ? Veux-tu
des livres ? Melle Agassis est bien bonne, je l’aime bien Melle
Viguier aussi.