Le 19 le bombardement continue à amenuiser
l’effectif de la section. Nos provisions d’eau sont épuisées et sous l’ardent
soleil de Juin, nous crevons de soif. Sans boisson le pain de guerre et le
« singe » ne passent pas. Il parait que Jouan, un de mes hommes, a bu
son urine.
Le
soir je suis chargé d’une mission avec Bocquet[1], l’un des sergents de la
compagnie : à notre droite il y a une vaste zone déserte. Il faut essayer
d’établir la liaison avec notre 1er bataillon qui est installé dans
les mêmes conditions que nous au-delà de ce désert. Les indications sur les
emplacements des lignes françaises ou allemandes sont inexistantes ;
d’ailleurs, dans ce paysage lunaire nous manquons totalement de repaires. Nous
marchons vers l’est [donc vers le fort de Vaux, repris par les Allemands au début du mois de juin] assez longtemps, sautant de trous en trous.
Une rafale nous
sépare, Bouquet[1] et moi. Je ne retrouve plus mon compagnon que je
n’ose pas appeler trop fort. Je continue donc ma mission seul. Un instant je
crois avoir trouvé de ce que je cherche : une faible lueur sort de terre à
quelques mètres de moi. Je pense aussitôt à une entrée d’abri ou à une lampe de
poche dont l’éclat serait dissimulé par une toile de tente. Déception !
C’est seulement une lueur phosphorescente qui émane d’un cratère parfaitement
vide, phénomène consécutif à l’explosion récente d’un obus.
Source : collections BDIC |
Malgré les difficultés
de la marche j’ai bien dû franchir maintenant trois cents mètres au moins et je
n’ai toujours rien trouvé. Est-ce que le 1er bataillon est encore
plus loin ? Est-ce que j’ai erré en arrière de ses positions ou entre les
lignes ? Je ne sais. Je me décide à rentrer sans avoir pu établir la
liaison recherchée. Le grand vide à notre droite n’est pas rassurant.
Mémoires
de Jean Médard, 1970
(3ème partie : La guerre)
[1] Dans le manuscrit des mémoires, le patronyme de ce sergent est clairement écrit Bocquet la première fois, et Bouquet quelques lignes plus loin. Jean Médard était souvent imprécis dans l'orthographe des noms propres.