Source : collections BDIC |
Au petit jour un
sergent de la huitième et trois hommes chargés de bidons d’eau arrivent de
l’arrière à notre hauteur. Pour ravitailler leur compagnie ils sont allés
jusqu’à la fontaine de Tavannes, à la sortie nord-est du tunnel, un endroit
redoutable, sans cesse pilonné. Ils en sont revenus sains et saufs.
– Aspirant,
nous allons nous installer à côté de vous si vous le permettez. Il fait trop
jour maintenant pour que nous puissions regagner notre compagnie en première
ligne.
– Vous êtes les bienvenus, mais les bidons
que vous portez représentent pour nous un supplice de Tantale. Cette eau est
pour votre compagnie, donnez-nous pourtant un fond de quart, de quoi nous
humecter le gosier.
– Bien sûr aspirant.
Nous sommes là
quelques-uns à recevoir quelques gouttes du précieux liquide. Nos nouveaux
compagnons sont à peine installés dans un trou voisin qu’un gros obus tombe,
tout proche. Des cris s’élèvent. Nous nous précipitons, Replonge, Toussaint et
moi. Les porteurs d’eau sont enterrés sous une énorme souche que l’explosion de
l’obus a soulevée et qui est retombée sur eux. Ce n’est pas trop de tous nos
efforts pour faire basculer la souche et pour les délivrer. Ils sont indemnes,
mais les bidons sont crevés ou vidés, l’eau est perdue, cette eau que nous
aurions pu boire à longs traits.
Source : Mémoire des hommes - Morts pour la France |
Maintenant que ma
vie est terriblement menacée et que je vais peut-être la perdre d’un instant à
l’autre, je me demande comment j’ai pu la vivre jusque-là sans en reconnaître
la valeur, en savourer le prix et la beauté. Je promets à Dieu de ne plus vivre
dans l’inconscience et l’indifférence, mais dans la reconnaissance. Je me livre
à des calculs sordides : « Je donnerais bien un bras ou même une
jambe pour sortir de là. Pas mes yeux ». Je voudrais que ma mère et la
vieille Alice soient mortes pour qu’elles n’aient pas la douleur d’apprendre ma
mort. Ma prière est instinctive, mais incohérente.
Le
soir les bruits de relève se confirment. Il est entendu que ma section, dont il
ne reste plus que six hommes sur trente, prendra la queue de la compagnie. Le
chef de bataillon et les commandants de compagnie restent un jour de plus pour
passer les consignes aux officiers du 54, qui nous relève, et pour leur donner
le temps de se familiariser avec le terrain.
La relève est
là ; l’épreuve se termine. Monsieur Soula marche en tête pour conduire la
compagnie vers l’arrière. Mais le malheureux s’oriente mal. Je vois les trois
sections de tête qui le suivent faire un mouvement tournant pour prendre
finalement la direction du nord. Je me précipite. Il faut courir pour rattraper
la tête de la colonne et je suis à bout de force et de souffle :
– Qu’est-ce que vous racontez ?
– Regardez devant nous cette masse sombre,
c’est le fort de Vaux. Nous marchons droit dessus.
Nous
reprenons la bonne route. Malgré notre épuisement nous aurons toujours assez de
force pour évacuer un terrain dont le sol nous brûle les pieds. La relève se
déroule dans un calme relatif.
Source : collections BDIC |
Au passage nous
traversons le « ravin de la mort »[1] et passons à côté de la
fontaine de Tavannes. Je ne puis empêcher mes hommes de se jeter sur l’eau qui
remplit quelques trous d’obus, de s’aplatir et d’y boire comme des bêtes malgré
les cadavres étendus tout autour, malgré la sinistre réputation du coin.
Mémoires
de Jean Médard, 1970
(3ème partie : La guerre)
[1] L'auteur du site sur le bois Fumin explique : «Le ravin des Fontaines fut aussi appelé le "ravin de la mort", dénomination assez courante donnée par les poilus qui se voulait être l'évocation du ravin de tous les risques et de l'extrême danger du à une orientation en enfilade, particulièrement exposée aux tirs ennemis. » (Avec un lien vers une discussion très intéressante de Pages 1418 où l’histoire de la photo est expliquée en détail http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/Sites-et-vestiges-de-la-Grande-Guerre/fumin-arbres-chose-sujet_1533_1.htm.)
[1] L'auteur du site sur le bois Fumin explique : «Le ravin des Fontaines fut aussi appelé le "ravin de la mort", dénomination assez courante donnée par les poilus qui se voulait être l'évocation du ravin de tous les risques et de l'extrême danger du à une orientation en enfilade, particulièrement exposée aux tirs ennemis. » (Avec un lien vers une discussion très intéressante de Pages 1418 où l’histoire de la photo est expliquée en détail http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/Sites-et-vestiges-de-la-Grande-Guerre/fumin-arbres-chose-sujet_1533_1.htm.)