Source : JMO du 132ème R.I. - 21 juin 1916 |
Au petit jour,
nous atteignons enfin Haudainville. Le sergent-major Charlet qui est venu à
notre rencontre ne nous reconnaît pas avec nos barbes de cinq ou six jours, nos
figures noircies par la poudre, notre amaigrissement, notre air hagard, nos
capotes maculées de sang. En arrivant nous buvons toute l’eau des fontaines,
nous nous décrassons, j’écris une carte à ma mère pour la rassurer sur mon sort
et, à peine allongés sur le foin, nous sombrons dans un profond sommeil.
Consternation à
notre réveil ! Cette nuit même il va falloir repartir. Quelques heures
après notre départ les Allemands ont déclenché une grande offensive sur le
front que nous venions de quitter. Ils ont progressé. Le 54 qui nous a relevé a
été anéanti ou fait prisonnier et, avec lui, notre chef de bataillon et nos
cinq commandants de compagnie qui étaient restés derrière nous pour passer les
consignes.
On parle de nous
faire contre-attaquer, mais comme notre régiment est réduit à bien peu de chose,
privé d’officier et écrasé de fatigue, le commandement y renonce. Il va nous
renvoyer en avant sur des positions de repli.
Il parait qu’au
premier bataillon les réactions ont été assez vives, mais le commandant [Adrien] Perret,
qui connaît ses hommes, a compris qu’il ne s’agissait pas d’une mutinerie, mais
d’un mouvement de désespoir. Il a su leur parler et les décider à remonter. Il
vient de perdre lui-même son fils unique [Robert Perret (1895-1915)]. C’est au nom des morts qu’il a parlé
à ceux qui sont encore vivants. Cette journée de repos nous a quand même rendu
quelques forces et, à deux heures du matin nous repartons.
Source : JMO du 132ème R.I. - 21 juin 1916 |