Source pour la carte d'état-major servant de base : Edugéo-IGN : La bataille de Verdun
Déplacements de Jean Médard rajoutés par l’auteur du blog en se basant sur les cartes publiées dans le site très documenté sur le bois Fumin, chapitre "Les tranchées du bois Fumin".
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Source : collections BDIC |
Après
une interminable marche nocturne dans le boyau Altkirch[1], nous arrivons au tunnel de Tavannes qui est devenu une étrange cité souterraine, toujours dans la pénombre. C’est un abri profond et sûr, rempli de troupes. Les issues en sont protégées par de hautes et épaisses murailles de sacs à terre. Comme elles sont soumises à des bombardements incessants les occupants entrent et sortent le moins possible. Aussi un des côtés du tunnel est-il devenu une infecte latrine, tandis que les troupes se reposent de l’autre. Nous y passons toute la journée du 16. On reconnaît longtemps à l’odeur dont ils sont imprégnés les hommes qui y ont séjourné.
Source : collections BDIC |
Nous apprenons en arrivant que le Lieutenant Renault, qui nous avait précédés de quelques heures pour reconnaître le secteur, a été blessé aussitôt et déjà évacué. Cela promet.
A la nuit tombante nous abandonnons la puanteur de notre abri pour nous soumettre à l’épreuve décisive.
Il s’agit d’atteindre les positions qui nous sont assignées à deux ou trois cents mètres du fort de Vaux qui a été pris par les Allemands quelques jours auparavant après la fameuse défense du commandant Raynal.
Source : collections BDIC |
Nous sortons du tunnel par l’issue sud-ouest, moins bombardée. Le boyau que nous empruntons se perd dans de grands entonnoirs. Il n’y a pas un mètre carré de terrain sur lequel nous avançons et où nous allons nous installer qui n’ait été labouré, tourné et retourné par les obus. Les moignons de quelques arbres indiquent qu’il y avait là autrefois un bois, le bois Fumin.
Nous relevons un régiment de zouaves, c'est-à-dire que nous nous installons tant bien que mal à deux ou trois dans les entonnoirs que nos prédécesseurs occupaient. Notre compagnie est en deuxième ligne, malheureusement pour nous. Nos premières lignes, proches des lignes allemandes, sont moins pilonnées, les artilleurs allemands craignant de tirer trop court. Nous recevons ainsi double ration. Et il ne s’agit pas de petits calibres. Le fort nous domine. Aucun mouvement n’est possible de jour.
Je partage mon trou avec un de mes caporaux, un solide Picard, Replonge et un Ardennais, Toussaint. Ce dernier, ouvrier chaudronnier, est une des figures de la compagnie. J’avais déjà eu à faire à lui en Bretagne. Il m’avait donné du fil à retordre lorsque j’avais dû un jour conduire de Plélo à Châtelaudren un convoi d’hommes déclarés « aptes », convoi dont il faisait partie, car il avait arrosé cette promotion par maintes libations.
J’avais fait la grimace à mon retour au 132 lorsque je l’avais trouvé dans ma section. Nous avons pourtant fait bon ménage : « Mon aspirant, faites-moi faire les corvées de chiottes et tout et tout, mais pas l’exercice ». Je l’avais pris au mot. Cet homme indépendant supportait difficilement les manœuvres fastidieuses et humiliantes, je les lui épargnais dans la mesure du possible, mais il acceptait sans hésiter les tâches positives, celles qui demandaient de l’initiative ou du courage. Ces deux hommes l’un des régions envahies, l’autre du Moreuil, un bourg à proximité du front, défendaient leur pays par instinct, étaient guerriers par instinct. Bien plus que moi ! Toussaint surtout a donné là toute sa mesure.
Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)
[1] Le site JDE du secteur du « bois Fumin » Fort de Vaux Verdun indique que le boyau Altkirch faisait 6,8 km. Il allait jusqu’au fort de Vaux (repris par les Allemands début juin 1916). Jean s’arrêtant au
tunnel de Tavannes a dû parcourir entre 3 et 4 km dans ce boyau.