Ma sœur chérie,
Quelle douce et agréable journée,
j’ai passé hier avec ton fils ! Tu sais probablement par lui dans quelles
circonstances nous avons pu nous rencontrer, mais j’ai hâte de te dire quel
plaisir m’a procuré cette entrevue. Le souvenir de ce 6 Juin me restera comme
un des plus précieux de cette période de mon existence.
Physiquement, j’ai trouvé Jean aussi
bien que possible. On ne se douterait certes pas qu’il fut, il y a un an, si
sérieusement amoché. La vie qu’il mène le développe et je crois qu’il ne s’est
jamais si bien porté. Mais j’ai surtout été heureux de constater dans quelles
excellentes dispositions d’esprit il se trouve. Sa patience, sa résignation,
son état moral ont fait mon admiration. Ah ! que tu peux être fière
d’avoir un tel fils !!
J’avais amené le jeune Mourgue [Edouard Mourgue, dit "Doddy"],
auquel je tenais à procurer cette distraction, et je pensais qu’ils auraient
tous deux plaisir à se retrouver. Le matin, tandis que Mourgue faisait ses
commissions, nous avons pu nous voir seul à seul avec Jean. Puis, nous avons
déjeuné et passé l’après-midi, jusqu’à notre départ tous trois ensemble. Je ne
sais si nous pourrons récidiver. Peut-être sommes-nous destinés à rester encore
quelque temps dans les mêmes parages, mais je suis plus heureux que je ne sais
le dire d’avoir pu, au moins une fois vivre avec ce brave petit ces quelques
instants de douce intimité. Nous étions bien fortement émus l’un et l’autre en
nous quittant, car hélas ! on ne sait jamais surtout dans le temps où nous
sommes de quoi sera fait le lendemain. Mais je voudrais te voir aussi pleine de
courage et de confiance que ton fils.
J’ai repris ma tâche avec ardeur.
Inutile de dire que les premiers moments de mon retour ont été particulièrement
pénibles. A l’heure actuelle le cafard a disparu, et je continue à espérer que
la prochaine permission sera la bonne. Mais il y a encore un bien gros effort à
fournir. Que Dieu nous soit en aide.
J’ai de bonnes nouvelles de Saverdun
où ton départ a fait un grand vide. Je regrette bien que tu n’y sois pas
demeurée davantage, mais je comprends cependant ton impatience de retrouver ta
petite-fille. Et je crains aussi que tu te sois un peu ennuyée pendant que tu
étais seule chez nous. Mais tu nous as rendu à deux reprises différentes un
grand service dont je te suis infiniment reconnaissant. Et ce me fut bien doux
de te revoir et de passer ces quatre jours auprès de toi.
Je suis depuis un siècle sans
nouvelles d’Anna [Anna Benoît, sa belle-soeur et celle de Mathilde] et des siens. La fidèle correspondante me laisse bien
longtemps sans nouvelles. Je pense qu’à l’avenue Victor Hugo on est très
absorbé par la vue du bébé d’Yvonne [Bouscaren ép. Benoît, bru d'Anna] qui doit être imminente. Je pense bien à
eux tous.
A Dieu, tendresses à tous les tiens
et pour toi mes meilleurs baisers.
Ton
Geo Benoît