Villa
de Suède ce 18 Juillet 1916
C’est évidemment une vie bien
différente de celle aux jours noirs que tu as connus il y a si peu de temps
mais j en suis heureuse, heureuse. Je voudrais seulement que tu ne prennes pas
trop goût au Champagne ! attention. Je cours vite en ville chercher de
l’argent et l’expédier ; je n’ai pas eu un instant de la journée. Tante
Anna m’attendait et il m’a été impossible d’y aller. « Na » est très
sage en ce qu’elle ne fait pas la moindre scène ni entendre le moindre pleur mais
il faut la surveiller tout le temps comme le lait sur le feu. Elle a fait le
petit âne tout le jour, hi ha hi ha et des baisers passionnés à oncle Jean avec
sa petite main. Je lui fais néanmoins mener une vie très calme car elle est
effrayante. Son sommeil est agité de rêves ! elle pleure doucement
sur quelque chagrin de rêve, puis elle se jette de droite à gauche, va jeter
ses pieds à sa tete ; se lève, recouche – dans la journée le sommeil est
calmé. Il faut veiller.
Tante Anna me prie de te dire que
les plus jolis et solides costumes d’officiers se trouvent à la « Belle
Jardinière » à Paris. Lucien [Benoît] s’est acheté là un costume en drap très
léger qui équivaut à la toile.
Bien vite car je cours à la poste.
Tendresses infiniment tendres.