mercredi 20 juillet 2016

Eté 1916 – Toussaint et le capitaine

 
Je fais popote avec les officiers de la compagnie et le capitaine Baudin, qui fait fonction de chef de bataillon depuis que le commandant Girard a été fait prisonnier avec le 54. Girard était populaire, Baudin ne l’est pas. Il a travaillé avant la guerre pour le 2ème bureau en Allemagne et il a pris les manières raides et froides d’un officier prussien. Je n’ai pas personnellement à me plaindre de lui. C’est lui qui m’a proposé pour cette citation. Il me donne lui-même des leçons d’équitation : « Un officier doit savoir monter à cheval ».
 
         Source : Archives départementales des Ardennes

Agent de liaison qui a fait preuve pendant l’engagement
du plus bel esprit de courage le 16 Juillet 1917, n’a pas
hésité à porter [mot illisible] en lignes sous un feu
violent donnant ainsi à tous un magnifique exemple.

Croix de guerre avec étoile de bronze
      Malheureusement il a eu pendant mon absence une altercation avec Toussaint. Il lui a flanqué huit jours de prison et n’admet pas que je le prenne comme ordonnance. Toussaint est le genre d’homme qui supporte mal l’autorité telle que l’exerce le capitaine. A la suite de je ne sais quelle histoire  Baudin lui a donné un coup de pied dans le derrière, à quoi Toussaint a répliqué : « Mon capitaine, ma famille est sous la botte allemande et moi sous la française ».    
         Cette hostilité aurait pu finir par amener Toussaint en conseil de guerre, si le commandant Rivals qui devait prendre après le commandement du bataillon n’avait compris tout de suite à qui il avait à faire. Plus tard lorsque le capitaine Baudin aura été blessé et évacué, il prendra Toussaint dans l’équipe d’agents de liaison, où ce dernier donnera toute sa mesure.
Je prends comme ordonnance un paysan du Vaucluse, Ouvier, un ancien « écusson jaune » un petit méridional maigre avec une figure de vieille femme et un accent bien tassé. Il sera pour moi jusqu’à la démobilisation le dévouement personnifié. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)
 
 

 
Albert Jules Charles Toussaint (1890-1918)
 
Toussaint est évoqué à plusieurs reprises dans les mémoires de Jean Médard, en particulier :
- le 16 juin 1916 (les deux derniers paragraphes) ;
- le 20 juin 1916 (troisième paragraphe).
                Mais les indices concernant son identité sont minces : son prénom, en particulier, n’est jamais mentionné. Heureusement, Jean Médard a noté sur son carnet le nom de la commune d’origine de Toussaint : Haybes, dans les Ardennes.
 
Cette indication permet de remonter le fil, grâce à l’arbre de Dominique Paulus, en ligne sur Généanet :
 
Grâce à cela, on retrouve facilement son registre matricule :
 
             Après ces souvenirs de l’été 1916, jamais plus Jean ne mentionnera Toussaint, que ce soit dans la correspondance ou dans les mémoires. Sans doute n’a-t-il jamais su ce qu’il était advenu de lui.
Sa fiche matricule indique qu’il a été placé en « sursis d’appel » le 2 octobre 1917 « au titre des mines du Blaymard », c'est-à-dire affecté à un poste où ses compétences professionnelles étaient nécessaires.
 

      Toussaint est mort de "maladie indéterminée étant en sursis", comme trois autres de ses camarades également en sursis d'appel au titre des mines du Bleymard. Ces quatre décès de maladie, survenant dans un laps de temps très court, entre le 20 et le 30 octobre 1918, peuvent suggérer des cas de grippe espagnole (voir http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/autre/sursis-mines-bleymard-sujet_14615_1.htm).