mardi 19 juillet 2016

Chartèves, 19 juillet 1916 – Jean à sa mère

19-7-1916
            Maman cherie, 

            C’est toujours le repos, dans un pays délicieux, dans un village  bien plus agréable encore que tous ceux que nous avons fait jusqu’à maintenant.
            A l’heure qu’il est moins de 100 kil. me separent de Suzon. Si c’était le temps de paix, si l’on savait l’adresse l’un de l’autre, si l’on pouvait telephoner, si l’on était pas séparé par les barrières de la zone des armées une demie journée suffirait pour se rejoindre passer quelques heures ensemble et retourner chacun à ses affaires.
            Je ne voudrais pas te donner de fausses joies, mais je ne perds pas tout espoir d’avoir ma permission avant le prochain « coup dur ». Nous sommes encore au repos, nous ne sommes pas absolument reformés, et il n’est pas dit que lorsque nous reprendrons le travail ce soit tout de suite pour de violents combats.
            Enfin ! Attendons et esperons.
            Je viens de recevoir ta bonne lettre du 15. Tu dois être seule en ce moment. Comme je me rejouis pour Suzon de ce moment de délassement.
            Ma nomination d’officier transforme un peu ma vie, naturellement.
            Je vis avec les « huiles grasses » ou si tu prefères avec les « grosses légumes », faisant popote avec mon chef de bataillon, le capitaine Baudin. Il était capitaine adjudant major, et il est passé chef de bataillon, depuis que notre commandant a disparu à Verdun. Nous sommes assez bien ensemble, mais avant-hier nous avons eu une petite prise de bec au sujet d’un homme de ma section qui est un peu « tête brulée » –  mon ancien ordonnance, que j’aime beaucoup, qu’il ne peut pas sentir et qu il a puni pendant que j’étais au cours divisionnaire. Il est vrai qu’il était un peu de mauvaise humeur ce jour et il avait quelques raisons pour ça. Je fais très bon ménage avec lui, et avec tous les autres membres de la popote, savoir Ss-lieut G., commandant la 5ème Cie, Ss-lieut Millière (5e Cie) assez insignifiant, ancien ss-off d’active, Docteur Bourgeaud, très sympathique et gai, Ss-lieutenant Soula, etc.
            Hier matin nous avons quitté sans aucun regrets la Meuse, quelques heures de marche, quelques heures de chemin de fer nous nous avons echoué de nuit ds ce charmant et acceuillant village.
            J’ai une chambre somptueuse, immense, un lit à deux places, tout le confort moderne. Ce n’est plus la guerre. Ce que je regrette c’est mon ordonnance Toussaint, j’ai du m’en separer à cause de sa punition et de l’antipathie du capitaine Baudin ; il est remplacé par un Meridional, pas très fort, mais très dévoué et qui m’aime assez, étant venu au front la 1ère fois avec moi, ds le renfort du 58ème [Ouvier].
Tendrement, très tendrement à toi 

Jean