19-7-1916
Maman cherie,
C’est toujours le repos, dans un
pays délicieux, dans un village bien
plus agréable encore que tous ceux que nous avons fait jusqu’à maintenant.
A l’heure qu’il est moins de 100
kil. me separent de Suzon. Si c’était le temps de paix, si l’on savait
l’adresse l’un de l’autre, si l’on pouvait telephoner, si l’on était pas séparé
par les barrières de la zone des armées une demie journée suffirait pour se
rejoindre passer quelques heures ensemble et retourner chacun à ses affaires.
Je ne voudrais pas te donner de
fausses joies, mais je ne perds pas tout espoir d’avoir ma permission avant le
prochain « coup dur ». Nous sommes encore au repos, nous ne sommes
pas absolument reformés, et il n’est pas dit que lorsque nous reprendrons le
travail ce soit tout de suite pour de violents combats.
Enfin ! Attendons et esperons.
Je viens de recevoir ta bonne lettre
du 15. Tu dois être seule en ce moment. Comme je me rejouis pour Suzon de ce
moment de délassement.
Ma nomination d’officier transforme
un peu ma vie, naturellement.
Je vis avec les « huiles
grasses » ou si tu prefères avec les « grosses légumes »,
faisant popote avec mon chef de bataillon, le capitaine Baudin. Il était
capitaine adjudant major, et il est passé chef de bataillon, depuis que notre
commandant a disparu à Verdun. Nous sommes assez bien ensemble, mais avant-hier
nous avons eu une petite prise de bec au sujet d’un homme de ma section qui est
un peu « tête brulée » – mon
ancien ordonnance, que j’aime beaucoup, qu’il ne peut pas sentir et qu il a
puni pendant que j’étais au cours divisionnaire. Il est vrai qu’il était un peu
de mauvaise humeur ce jour et il avait quelques raisons pour ça. Je fais très
bon ménage avec lui, et avec tous les autres membres de la popote, savoir
Ss-lieut G., commandant la 5ème Cie, Ss-lieut Millière (5e
Cie) assez insignifiant, ancien ss-off d’active, Docteur Bourgeaud, très
sympathique et gai, Ss-lieutenant Soula, etc.
Hier matin nous avons quitté sans
aucun regrets la Meuse, quelques heures de marche, quelques heures de chemin de
fer nous nous avons echoué de nuit ds ce charmant et acceuillant village.
J’ai une chambre somptueuse,
immense, un lit à deux places, tout le confort moderne. Ce n’est plus la
guerre. Ce que je regrette c’est mon ordonnance Toussaint, j’ai du m’en separer
à cause de sa punition et de l’antipathie du capitaine Baudin ; il est
remplacé par un Meridional, pas très fort, mais très dévoué et qui m’aime
assez, étant venu au front la 1ère fois avec moi, ds le renfort du
58ème [Ouvier].
Tendrement, très tendrement à toi
Jean