15-7-1916
Maman cherie,
Hier soir je me suis donc rendu au
repas auquel j’étais invité par un velo de fortune. Sales routes, boue. J’ai
éclaté. Au 132e j’ai été on ne peut mieux reçu.
Presque tous les poilus de la Cie
que j’ai vu m’ont dit des choses gentilles qu’ils étaient contents que je passe
ss-lieut. et surtout que je reste à la compagnie. Ça m’a d’autant plus touché
qu’ils ne sont pas très expensifs d’ordinaire. Presque tous les officiers du
bataillon étaient allé à cheval à la ville voisine. Ils sont rentré tard. Nous
nous sommes mis à table à 8 h ½ et ns en sommes sortis à 1 h. C’était assez
gai. Je ne puis bien te les présenter tous. Quelques uns : Le capitaine Baudin,
qui commande le bataillon depuis le retour de Verdun. Il n’est pas aussi aimé
que son prédecesseur le commandant Girard. La succession est difficile, car ce
dernier était un bon chef et ds l’intimité extremement amusant et agreable. Baudin
lui est assez froid, sec ; sa gaité sans sonner faux ne coule pas de
source.
J’ai du te parler aussi de G., le
ss-lieut qui commande actuellement la Cie. Il n’est pas mauvais
type, ni bête, mais absolument détraqué et beaucoup trop souvent ivre. Nous
sommes en très bons termes. Un grand gosse.
Le Médecin, petit, laid, spirituel,
courageux.
[Roger de] La Morinerie dont je t’ai parlé
souvent.
Combemale, ss-lieut, commandant une
Cie voisine. Le type le plus interessant de la bande. Beaucoup de
distinction, grosse fortune. Vie intense, toute faite de voyage et d’aventures.
Il a acheté au Chili d’immenses terrains, il y a fait naître des
villages ; c’est un type. La suite au prochain numéro.
J’ai dormi 3 heures. Je me suis levé
à 4 heures pour rentrer ici pour l’exercice. A midi dejeuner avec le capitaine,
commandant le peloton d’instruction et les sous-lieut. instructeurs. Toujours
très gai. Le capitaine est un type très sympathique, jeune, agréable, Figure-toi
qu’il est à moitié Cettois, cousin des Chavanes, des Gaffinel, des Frank. Je me
suis rappelé depuis que son nom revenait souvent ds les conversations de jeunes
filles chez les Gourguet : Jean Favatier. Suzon se rappelera peut-être, et
Madeleine [Benoît] en tout cas.
Toute l’après-midi j’ai dormi, car
ce soir ns avons exercice de nuit.
Je ne sors pas des bombes. Depuis 2 jours
je bois du champagne à tous les repas. Hier matin champagne gouvernemental. Le
soir champagne au bataillon Ce matin champagne à la popote des instructeurs. Ce
soir c’est moi et un nouveau promu qui en offrons à notre popote de chefs de
section.
Tu vois que nous menons une vie de
patachon.
Tendrement
Jean