mercredi 21 octobre 2015

Sète, 21 octobre 1915 – Mathilde à son fils

Villa de Suède, le 21 octobre 1915
            Mon Jeanot chéri 

            Je viens d’avoir ce Jeudi ta carte du 19, cela va plus vite et je m’en réjouis. Les premières lettres mettaient tjours trois jours en carte. En est-il de même des miennes ?
            Je sais que tu ne t’ennuies jamais mon chéri, mais moi je souffre de ton isolement et j’aimerais te sentir dans un regiment, ou une Cie ou tu serais avec des camarades,  des amis, entouré de sympathie et d’affection. J’attends vite de savoir si je dois t’envoyer un petit colis sans le livre introuvable ?
            Je pourrais te conter une de nos journées, tu les connaîtras toutes car elles sont toutes pareilles. Il y a cependant des variantes. Nous voyons les choses en bleu si le contentement règne à la villa ou en bien sombre quand comme hier, les idées sont noires. Suzie est parfois très découragée et je le comprends…. Elle a voulu hier faire quelque pas, elle a senti sa douleur et j’ai constaté du pus dans les urines alors sans ns le dire franchement, ns pensons de même. Il n’y a rien de sérieusement declanché et n’y aura-t-il pas ici une impotence pr toujours ? Oh ! cette pensée est terrible et j’essaie de la chasser bien loin. Mais Suzie la connait aussi et dans ces moments là ses yeux sont si sombres qu’ils me font peur.
            Aujourd’hui, le baromètre est remonté ! Il faisait beau du reste, un soleil d’automne un peu languissant qui fait penser au triste hiver. Léna a repris des couleurs et elle est sage bien sage a condition qu’on lui donne son biberon. Elle consent à prendre le sein d’un air dégouté et le refuse avec énergie quand le trait s’arrête et qu’il faut prendre quelque peine. Alors Suzie se désespère.
            Je les ai quittées hier quelques instants pr aller voir tante Anna. Le salon était plein de monde et je n’ai rien eu à dire. Du reste mes consolations n’auraient que faire. Elles sont toutes trois fort sereines et ont tjours le sourire au lèvre. Je pense que pr ta tante la douleur n en est que plus vive, mais elle n en laisse rien voir. Elles n’ont aucun regret. On a tout tenté et l’amputation prise au début ne pouvait être admise, il fallait d’abord tenter de sauver le membre ! On ne pouvait se douter qu’il y eut empoisonnement. Il s’est endormi tout doucement, sans souffrances, mais il en a supporté de terribles. Lucien est tjours le même, il porte beau, mais je l’ai à peine vu.
Je n ai pas eu une minute pr y retourner aujourd’hui, bien que la fidèle Alice Herrmann  soit venue de Montpellier comme presque tous les jeudis voir ta sœur. J’ai eu la visite de Mme Buchel qui m’a conté les tristesses matrimoniales de Lena. Son mari ne veut plus la voir et elle demeure sous son toit à Paris souffrant le martyr. Voici le laitier qui va prendre ma lettre je ne puis écrire qu’à toi je ne puis répondre à personne.
Je te quitte pr aller donner lavages, injections, langer, dorlotter et tout le reste ! et en faisant tout cela ma pensée vole vers toi, mon cher petit qui remplit le cœur de sa maman et je t’embrasse bien tendrement.
Suzie est Alice se joignent à  moi. Merci des détails que tu me donnes sur ta vie.
Tendresses 

Ta mère affectionnée