Plélo,
13 octobre 1915
Maman cherie
Depuis quelques jours je ne t’écris
que d’insignifiants billets. A vrai dire je manque de matière pour une lettre,
ma vie étant absolument monotone. La seule chose qui ait marqué ds ma vie ces
temps-ci est le recouvrement de ma cantine. Tu vois que c’est peu. J’étais
quand même très ennuyé jusqu’à hier, sans encre pour mon stylo, sans
chaussettes pour mes pied, sans papier pour ecrire. Maintenant, je suis
installé.
Mon caoutchouc est très pratique et
j’ai eu souvent l’occasion de m’en servir. Je reconnais que tu as tout mis pour
le mieux. Tu me proposes du thé, je ne dis pas non. Si tu as l’occasion de m’en
envoyer une demie-livre d’y joindre mon nouveau testament grec pour mes moments
de loisir, je te serai très reconnaissant. Le N-T grec en question est sur le
bureau de ma chambre. Je suis honteux de ne rien faire ici ; envoie moi
par la même occasion 2 bouquins de [Louis-Auguste] Sabatier que j’avais apporté chez Suzon mais que j’ai du rapporter à
la maison et peut-être remis à leur place ds la grande bibliothèque de ma
chambre à gauche, la plus basse rangée de livres : Sources sur la vie de
Jesus et vie de St Paul. Je ne voudrais pas m’abrutir tout à fait.
L’une des photos prise par Mr. Pont
est réussi envoie-la à Mlle [Léo] Viguier, 14, rue de Trévise Paris ;
elle voudrait completer sa collection de volontaires. Je reçois un mot d’elle
pour me faire cette demande, elle me tient au courant de tout : [Pierre] Lestringant
toujours à son ambulance, Charles Westphal[1],
le fils de Freddy legerement blessé à la main, Alex. [Alexandre] de Faye[2]
malade à Paris, Forel blessé le 28, et pas de nouvelles de lui depuis.
Aujourd’hui il fait très beau,
presque trop chaud. Je pense avoir toute l’après-midi à moi. C’est terrible ce
temps gaché. J’ai heureusement ma bible et quelques sermons de Wilfred [Monod] ; de quoi passer bien l’après-midi.
J’ai aussi toujours autant de lettres à écrire que je veux, plus que je veux.
C’est bien heureux pour vous que
vous soyez debarassés de Marie-Louise. Je comprend quel travail tu as depuis le
départ de Jane [Jane
Busck, sa cousine]. Comment t’en
tires-tu ? Comment s’en tire Alice qui n’était déjà pas si solide à mon
depart ? J’espère que Suzon nourrit de + et + et que les biberons vous
absorbent moins. Si ta place est auprès de Suzanne ? J’espère que tu n’en
doutes pas maintenant, et je suis bien heureux que tu sois ainsi absorbée. Il
me tarde d’avoir des détails sur l’arrivée de tante Anna à Cette, sur sa santé,
son énergie. Naturellement, vous sentez Suzanne et toi qu’il faut faire de gros
efforts pour que les malentendus se dissipent, pour que les anciens rapports
d’affection se retablissent en toute simplicité. As-tu des nouvelles de
Lucien ? J’ai écrit hier à tante Jeanne et à tante Elise. Si tu sais aussi
des détails sur la mort d’oncle Louis donnes-m’en. J’ai des regrets de n’avoir
pas averti une de mes tantes de l’absence d’oncle Louis de Paris, des nouvelles
que me donnait Victorine ; je craignais de leur être desagreable.
Adieu, maman chérie, ne soupire pas
après les heures passées ou à venir. Fais avec joie ta tache de mère et de grand-mère. C’est un vrai privilège.
Je vous embrasse.
Jean
[1] Charles Westphal (1896-1976) : camarade de la Fédé. Futur pasteur et futur responsable de l’Eglise réformé.
[2]
Alexandre de Faye (1896-1918) : camarade de Jean rencontré à
Louis-le-Grand pendant l’année scolaire 1910-1911. Membre de la Fédé.