Cette,
le 19 octobre 1915
Mon cher grand,
Mathilde Médard et sa petite-fille Elna Ekelund |
J’ai reçu hier tes deux dernières
cartes à la fois. Je suis heureuse que tu aies un peu d’occupation car c’est
grand souci de te sentir sans rien d’interessant à faire devant une longue
journée et je souhaite prtant que dure longtemps cet état de choses.
Voilà tante Jenny qui vient je ne
pourrai encore écrire ce soir et prtant j’ai promis à tante Anna d y revenir
car elle est arrivée ce matin à 4 h 44 et j’ai fait diligence pour aller à la
gare. J’ai été bien perplexe, par exemple. Elle avait prié Mathilde de ne dire
à personne qu elle arrivait, elle ne voulait voir qui que ce soit à la gare. Je
me demandais si cet arrêt me concernait, et j’ai fini par passer outre. Je l’ai
trouvée stoïque elle et ses filles, toutes souriantes Lucien arrivait en même temps pr sa permission
de huit jours. Cela coïncidait à merveille.
Je les ai devancés chez eux et là il
y a eu un peu d’émotion. Elles m’ont lu les discours admirables prononcés sur
sa tombe. Celui du colonel est remarquable et je le copierai pr te l’envoyer.
Ce cher Pierre était adoré de tous et ses chefs et ses soldats l’ont pleuré à
l’égal des siens. Dans un délire il demandait sa croix et la lançait comme un
enfant.
Ta tante demeure sans regrets. Seule
l’amputation faite au moment même eut peut être sauvé mais il n’aurait pas
donné sa jambe alors que rien ne laissait prévoir la catastrophe. C’est un tout
petit éclat empoisonné sans doute qui a empoisonné le sang. On a d’abord enlevé
l’éclat et l’étoffe qui avait penetré, la peine est demeurée. On a fait une
autre opération on a scié le tibias retrecissant ainsi la jambe, puis on a
amputé, jamais la peine n’a cédé un seul jour. Mais lui n’a jamais montré qu’il
voyait l’issue venir. L’avant-veille il a prtant dit à son ami : Je crois
que je me decolle et puis à sa sœur qui le veillait. Tu es si triste, tu as
pleuré ? et il s’est endormi comme un petit enfant.
Je suis sous cette impression si
poignante je ne puis parler d’autre chose et j’ai tort tu n’as pas besoin de
ces tristesses.
Ici tout est assez bien. Mais prtant
Suzie a la permission de se lever et d être portée en bas et aujourd’hui, elle
n’a pas voulu quitter son lit sentant un point douloureux au ventre.
Je ne la force pas, mais je trouve
tout cela bien long.
Petite Léna (car Suzie l’appelle
ainsi) prospère toujours (un peu moins cependant) elle se décide à prendre
quelquefois sa mère mais, pas toujours, et c’est un vrai souci pr cette dernière.
Je couche dans le lit d’Hugo et
passe ainsi des nuits plus supportables.
Comme il me tarde de savoir ce que
tu as fait Dimanche ! Cette journée a été pr nous comme les autres
remplies des mêmes occupations, des mêmes soins à donner.
J’ai été hier chercher les livres
que tu me demandes à la maison, je n’ai trouvé sur ton bureau que la bible
grecque et la vie de St Paul mais nulle part ailleurs le second livre de
Sabatier. Dois je t’envoyer ceux-ci sans ce dernier ? Dis le moi bien vite
et je ferai partir immédiatement le colis.
Je te quitte pr tenter d’aller chez
ta tante encore ce soir. Grosses caresses mon bien aimé de ta maman et
tendresses de toute la maisonnée.
Bien avec toi
ta mère affectionnée
Math P Médard