Plélo,
19 octobre 1915
Maman cherie
Tu me gates ces jours-ci ; je
viens encore de recevoir ta bonne longue lettre du 16 [qui manque dans
le paquet de lettres conservées]. Ne
crois pas que je m’ennuie. Ce serait humiliant de s’ennuyer lorsqu’on peut
lire, qu’on peut être seul et surtout qu’on a une tache. Ça n’empêche pas de
regretter la vie de famille, mais rien à faire pour revenir parmi vous. S’il y
avait quelque chose à faire je le ferais. Je suis bien heureux d’apprendre que
Suzon va beaucoup mieux et qu’elle peut recommencer à nourrir sérieusement. Je
repond à ton interrogatoire. Ne m’envoie pas ma boite à peinture pour le
moment. Mon lit est excellent. Je puis chauffer ma chambre, mais je ne l’ai pas
encore fait le climat étant très pluvieux, mais très doux. Je vis toute la
journée la fenêtre ouverte. Nourriture excellente. Je ne suis ni à la caserne
ni à l’hopital, je suis chez moi, y couche et y passe ma vie sauf les heures de
service ; je croyais te l’avoir dit. Plélo d’ailleurs est un tout petit
village qui n’a ni caserne ni hopital ; à peine une mairie. Les hommes
sont cantonnés dans des granges, des greniers des fermes environnantes. Je
dejeune le matin au mess. Un verre de café, pain et beurre à volonté. Je
pourrais me lever à l’heure que je voudrais ; mais me couchant très tôt
j’assiste régulièrement à l’appel du matin (7 heures).
Envoie à Mlle Viguier ce
que tu voudras.
Je t’embrasse
Jean