Villa
de Suède, le 13 octobre 1915
Je ne sais si tu auras pu lire ma
carte écrite hier en cours de route mon cher petit et voilà qu’aujourd’hui je
n’ai pas eu encore un moment à moi de la journée pr venir auprès de toi Je
tente, après le bain du petit chou d ecrire ces lignes pour les donner au
laitier. Mais il est sept heures.
J’ai donc fait hier un triste voyage
toujours en hâte. J’ai voyagé avec le corps qui était accompagné d’oncle
Emmanuel [Beau]
et Eugène Jaujou [un cousin côté
Médard]. Ton oncle Beau m’a paru plus
fort que je ne l’aurais cru. Oncle Louis avait décidé de faire une petite
visite à Tobie Reynaud et de là d’aller se fixer chez Elise a Lunel pour l’hiver
et pour toujours du reste. Cette pauvre Elise aurait eu la une société et un
but, quelqu’un à qui se dévouer, c’est navrant. Elle est bien à plaindre [Elise
Médard ép. Drouillon avait perdu en 1910 sa fille unique et son mari en 1911.]
En route pr Lesparsis ton oncle a su
qu’il faisait folie et qu’il était bien malade. On a écrit à tante Jeanne mais
elle n’a pas compris que ce fut desesperé, elle n’a rien dit à Elise c’est
prquoi il n’a eu aucune de ses sœurs à son lit de mort. A mon arrivée à Lunel on m’a vite chargé d’écrire à André Pastoureau
pr obtenir une permission de trois jours à Franck [le plus jeune frère
Médard] pr lui permettre d’aller fermer
la maison de Paris et regler les affaires, renvoyer surtout Victorine, en
prevision qu’il faudra pr cela une main ferme – puis je crains d’autres
parasites ! J’ai donc passé l’heure de mon séjour à Lunel à écrire et j’ai
à peine vu tes tantes. Mais j’ai bien fait d’y aller : décison que j ai
prise sur les instances de Suzie et pas sans peine. J’ai bien fait de faire
acte de présence ! Ta tante Jeanne toujours très forte et vaillante en
apparence, me fait à moi l’effet d’une loque.
Il parait qu’oncle Louis désirait tellement te
revoir !
Je suis rentrée à quatre heures avec
Mmes Bertin [Valentine Médard épouse Henri Bertin-Sans, une
cousine issu de germain de Louis Médard], Herrmann
[Marguerite Germain épouse Jacques Herrmann, future belle-mère de Jean], Bouscaren [Julie Vinas épouse Paul Bouscaren] etc et arrivée ici à 6 heures 1/2 j’ai bien vite repris mon tablier
d’infirmière.
Depuis Lundi, le départ de Jane je
ne m’arrête pas un instant dans mes soins. Ta sœur a des heures de vrai
découragement. Elle va bien, a grand appétit mais elle ressent tjours une
petite douleur qui l’oblige à rester au lit. Mr Puech a téléphoné à
Hugo qu’on pouvait dès demain la porter sur la chaise longe à condition qu’elle
ne mette pas de longtemps pied à terre. Je suis, tu le vois mobilisée pr
longtemps et si ma santé ne s en ressent pas, j en suis bien heureuse. Suzie ne
parait plus s’interesser à son enfant aussi passionnément. On sent combien elle
souffre de ne pouvoir remplir ce doux devoir. Et puis cette petite nature
refuse de tirer au sein ou il y a peu de chose et elle trouve trop à faire.
Elle préfère le biberon qui fonctionne sans frein. C’est un amour, une
delicieuse enfant. Tu ne la reconnaîtras déjà plus tant elle a embelli. Elle a
les yeux de Suzie plus noirs encore et Suzie préfère retrouver en ceux de son
enfant les tiens. Hugo déclare franchement maintenant qu’elle est ravissante.
Je viens de recevoir ta carte envoyée
au cours d’une superbe promenade. Quel pays merveilleux et que je voudrais avec
toi le parcourir. Prquoi ne te laisse-t-on pas venir passer ce mois encore
auprès de nous. Oh ! que Dieu m entende et permette que ce mois soit suivi
d’autres.
Figure toi que Rudy [Busck] est à Marseille pr deux jours, jusqu’à
demain, ses parents heureux au possible de l’embrasser ont vite déchanté car il
est resté dans l’artillerie (non lourde) et part après demain pour la
Serbie !! tu vois d’ici tante Fanny et oncle Axel. Je les plains bien.
As-tu reçu de celle-ci les
chaussettes promises. Je n en ai pas joint en laine dans mon petit paquet,
parce qu’elle doit t’en envoyer.
Je songe maintenant à une flanelle.
Comment fais-tu ? N y aura t il un moyen de rentrer en possession de cette
cantine ? As-tu fait tous le possible pr cela ? et n’as-tu pas trop
tardé à aller la réclamer ? En tout cas, il faut que tu sois largement
indemnisé. J’espère que tu seras tenace et exigeras même les frais que te
procure actuellement ton manque de linge. Je t’ai fait une liste
aproximative ; certainement j’oublie bien des choses. En tous cas je n’ai
pas mentionné la cantine elle-même.
Parle-moi de la nourriture. Est-elle
suffisante et bien préparée. Ne te sens tu pas affaibli ? Comment
es-tu ?
Eugène obligé d envoyer la liste de
ses menus, par les Allemands pr montrer que c’était du mensonge a adressé cette
liste à sa chienne. Mira Beau je crois rue Bluff Plan d’Alais.
On a pensé que les menus étaient des
menus de chien et du Bluff des Allemands. Il ne sait pas encore la mort de
Maurice.
Rien à te dire de notre ville où je
suis comme n’y étant pas. Je ne vois personne, que tante Jenny de temps en
temps, et Mme Pont. Les gens ns laissent tranquilles.
Voilà une lettre qui ne partira que
demain ; il se fait tard et je suis lasse bien lasse. Excuse donc le
désordre de ces lignes. Sache seulement que tu es ma pensée même et que je vis
près de toi.
Que Dieu te garde encore et toujours
mon bien aimé enfant
Je ne sais encore rien de tante
Anna.
Tu as les tendresses de ta sœur,
d’Alice, d’Elna les plus chaudes de ta maman.
Hugo t’envoie mille amitiés.
Ta vieille mère
Math P Médard
As-tu reçu mes lettres ?