mercredi 7 octobre 2015

Plélo, 7 octobre 1915 – Jean à sa mère

Plélo, 7 octobre 1915
            Maman cherie 

            Tu dois attendre ma lettre avec impatience ; je te dirai donc tout de suite que je suis encore au depot au moins pour un mois. C’est en tout cas probable. Les choses se font ici avec le plus grand ordre, beaucoup mieux qu’à Avignon où l’on envoyait sur le front des types dont la plaie n’était même pas fermée. Ici on est d’office inapte en arrivant. Selon la validité on est versé ds la 4-, 3-, 2- categorie de la 29ème Cie, compagnie des inaptes. Dans la 4-  et 3- les types très amochés, proposés pour reforme ou pour l’auxiliaire, ds la 2ème ou 1ère les autres. Je suis dans la 2ème. On y reste + ou – longtemps et l’on est versé dans la première 30ème Cie après une 2- visite, ou en 3-  4-  5- ou 6-. Après une nouvelle visite on passe de la 1ère ds les autres compagnies, d’aptes cette fois, et l’on repart de là pour le front selon son tour. Tu vois que lorsque je repartirai ce sera après maintes visites et contre-visites, et à bon escient.
            La visite d’hier a été passée avec beaucoup de soin. Le Major a constaté par ma feuille que j’avais été très malade et par une auscultation que j’étais maintenant bien. Quant à mes mains elles l’ont amusé comme un cas rare de relachement des ligaments, mais pas du tout comme infirmité.
"Indigènes et sous-offs à Plélo" (légende de la main de Jean)
Jean, assis à droite
            Tu sais que je n’aime pas beaucoup la vie de depot ; celle-ci est pour le moment supportable. Je n’aurai pas grand-chose à faire (un peu ce que je voudrai). Hier soir j’ai retrouvé Pinet, le sergent major parti avec moi pour le front. Il est ici dans les mêmes conditions que moi. Le soir il est venu boire une bouteille de cidre dans ma chambre avec Couve. Après j’ai fait un bout de causette avec ma brave propriétaire. C’est une vieille fille qui a été gueri dans sa jeunesse à Lourdes, et qui avait fait vœux à la vierge de ne pas se marier si elle guerissait. Elle a tenu son vœu bien qu’elle fut fiancée, et elle raconte ça gravement. Elle m’a demandé ce que je faisais, quand elle a appris que j’étais protestant elle a trouvé ça très drole, elle croyait que les Anglais seuls étaient protestants.
            Ce matin, j’ai visité un petit village à 6 kil, Bringolo, la vraie Bretagne ou très vieille et très belle église gothique entourée de son cymetière au milieu du village.
            J’ai un petit embetement. Ma cantine qui est arrivée en gare de Châtelaudren, très normalement, en a disparu avant que je la retire. Je me trouve donc sans rien. Je te serai très reconnaisant de me faire une liste des objets qu’elle contenait et de leur valeur, pour que je puisse faire une reclamation.
            Envoie-moi aussi en attendant, le + tot possible une des chemises et une paire de chaussette que j’ai encore à la maison, pour que je n’aie pas à les acheter.
            Ne m’envoie pas davantage car j’espère bien quand même retrouver ma cantine. (Grand désordre à la gare de Châtelaudren).
            Je touche demain mes indemnités. A demain. Je t’embrasse tendrement. 

Jean

            Je n’ai encore rien reçu de toi.