Plélo,
7 octobre 1915
Maman cherie
Tu dois attendre ma lettre avec
impatience ; je te dirai donc tout de suite que je suis encore au depot au
moins pour un mois. C’est en tout cas probable. Les choses se font ici avec le
plus grand ordre, beaucoup mieux qu’à Avignon où l’on envoyait sur le front des
types dont la plaie n’était même pas fermée. Ici on est d’office inapte en
arrivant. Selon la validité on est versé ds la 4-, 3-, 2-
categorie de la 29ème Cie, compagnie des inaptes. Dans la
4- et 3- les types
très amochés, proposés pour reforme ou pour l’auxiliaire, ds la 2ème
ou 1ère les autres. Je suis dans la 2ème. On y reste + ou
– longtemps et l’on est versé dans la première 30ème Cie
après une 2- visite, ou en 3- 4- 5- ou 6-. Après une
nouvelle visite on passe de la 1ère ds les autres compagnies, d’aptes
cette fois, et l’on repart de là pour le front selon son tour. Tu vois que
lorsque je repartirai ce sera après maintes visites et contre-visites, et à bon
escient.
La visite d’hier a été passée avec
beaucoup de soin. Le Major a constaté par ma feuille que j’avais été très
malade et par une auscultation que j’étais maintenant bien. Quant à mes mains
elles l’ont amusé comme un cas rare de relachement des ligaments, mais pas du
tout comme infirmité.
Tu sais que je n’aime pas beaucoup
la vie de depot ; celle-ci est pour le moment supportable. Je n’aurai pas
grand-chose à faire (un peu ce que je voudrai). Hier soir j’ai retrouvé Pinet,
le sergent major parti avec moi pour le front. Il est ici dans les mêmes
conditions que moi. Le soir il est venu boire une bouteille de cidre dans ma
chambre avec Couve. Après j’ai fait un bout de causette avec ma brave
propriétaire. C’est une vieille fille qui a été gueri dans sa jeunesse à
Lourdes, et qui avait fait vœux à la vierge de ne pas se marier si elle
guerissait. Elle a tenu son vœu bien qu’elle fut fiancée, et elle raconte ça
gravement. Elle m’a demandé ce que je faisais, quand elle a appris que j’étais
protestant elle a trouvé ça très drole, elle croyait que les Anglais seuls
étaient protestants.
"Indigènes et sous-offs à Plélo" (légende de la main de Jean) Jean, assis à droite |
Ce matin, j’ai visité un petit
village à 6 kil, Bringolo, la vraie Bretagne ou très vieille et très belle
église gothique entourée de son cymetière au milieu du village.
J’ai un petit embetement. Ma cantine
qui est arrivée en gare de Châtelaudren, très normalement, en a disparu avant
que je la retire. Je me trouve donc sans rien. Je te serai très reconnaisant de
me faire une liste des objets qu’elle contenait et de leur valeur, pour que je
puisse faire une reclamation.
Envoie-moi aussi en attendant, le +
tot possible une des chemises et une paire de chaussette que j’ai encore à la
maison, pour que je n’aie pas à les acheter.
Ne m’envoie pas davantage car
j’espère bien quand même retrouver ma cantine. (Grand désordre à la gare de Châtelaudren).
Je touche demain mes indemnités. A
demain. Je t’embrasse tendrement.
Jean
Je n’ai encore rien reçu de toi.