mardi 6 octobre 2015

Plélo, 6 octobre 1915 – Jean à sa mère

Plélo, 6 octobre 1915
            Maman cherie 

            Je t’écris ces quelques mots bien que je n’ai pas encore passé la visite, parce que j’ai le temps de bavarder un peu avec toi. J’emporterai ma lettre à Châtelaudren et ajouterai le resultat de la visite.
            Hier et aujourd’hui n’étant encore affecté à aucun service, j’ai passé des journées agreables. J’ai pu lire et ecrire, me promener. J’ai revu Couve, le père de Mme Robert, qui depuis qu’il est ici dans l’auxiliaire est moins égaré.
            Ce pays est vraiment epatant quand il ne pleut pas. Extremement vert, legerement mamelonné, très arrosé, des bois, des genets, des fougères. La mer n’est pas loin, à 13 kil. Je me promets de pousser jusque là. (J’ai écrit à J. [Jean] Lichtenstein pour lui faire signe, j’espère bien qu’il viendra me voir bientôt). J’aime bien aussi ma chambre ; elle est tout ensoleillée et fleurie. Des bonnes sœurs aux cornettes étranges gardent des enfants et font l’école dans la maison en face, toute la journée on entend le trottinement des petits sabots. Le village est très propre, presque toutes les maisons sont vieilles, et presque toutes les fenetres sont garnies de geramium. Les femmes ont toujours leur costume noir et leur coiffe blanche, et sous leur coiffe une figure grave et un peu triste. Ma propriétaire qui est pourtant bonne et serviable ne sourit jamais.
            Je commence à faire connaissance avec les off. et ss-off. du village. Ils sont gentils et accueillants, mais je passerai quand même mon temps de loisir ds ma chambre ou sur les routes.
            Je ne t’ai pas donné beaucoup de details sur ma journée à Paris. J’ai dejeuné Lundi chez les Bolgert. Le general est degommé. Jean n’est pas tout a fait remis. Ils m’ont appris une triste nouvelle que tu connais surement, l’amputation de la jambe de Pierre. Donne moi des details lorsque tu les auras.
            Adieu ma chère maman, sois courageuse. Je pense constement à vous et vous embrasse de tout mon cœur.
Jean 

Ecris moi vite. Il me tarde d’avoir des nouvelles de Suzon. 



Flash-back

            J’étais reçu plus souvent et plus intimement par d’autres correspondants, des cousins de ma tante Benoît, le général et Mme Bolgert. Lui commandait alors un corps d’armée. (Il devait être limogé brutalement par Joffre dès les premières semaines de la guerre). Quelle qu’ait pu être alors l’autorité du chef militaire il était visible que dans le ménage ce n’était pas le petit général, mais sa grande femme qui assurait le commandement suprême. Elle a toujours été très maternelle et affectueuse pour  moi en particulier au moment de la mort de ma grand’mère Médard dont j’ai appris la fin non sans peine pendant ce premier séjour à Paris [1911]. Ils avaient deux fils dont l’aîné, Jean, à peu près du même âge que moi a fait, je crois, une carrière assez brillante. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (2ème partie : Enfance et jeunesse)