dimanche 29 mars 2015

Sète, 29 mars 1915 – Mathilde à son fils

Cette, le 29 mars 1915
            Mon fils bien aimé 

            Alice m’apporte ce soir une carte écrite de ta main et je ne puis contenir ma joie, ni mon émotion. Je me demande aussi si tu as reçu quelque chose de moi ou pas encore.  Comme c’est long pr communiquer et angoissant lorsqu’on ne sait rien d’un jour mais quelle grâce à rendre à Dieu de permettre que tout aille pr le mieux.
            Ce que tu me dis au sujet de ma venue à Verdun ravive toutes mes incertitudes. Tu comprends bien que je serais déjà partie sur le premier avertissement si je n’avais craint d’abord de ne pas passer et surtout de te croiser en route. On m’a tjours affirmé que je ne pourrais pas entrer à Verdun ; ce matin c’était encore dit dans le Marseillais. Hugo et Suzie ne m’encouragent guère surtout en sachant que tt danger est écarté. Il s’agit de savoir maintenant si ton séjour là-bas sera long alors, dans ce cas, je viendrais. La dépense ne compte pas, on s’arrange. Si tu dois être bientôt dans le midi, ce sera bien mieux pr moi de m’installer là près de toi. Si le temps est long pr toi là bas, si tu souffres beaucoup ce que tu ne dis pas et désires ma venue fais un petit signe et je n’hésite plus.
            Je n’arrive pas à répondre à toutes les lettres qui me demandent de tes nouvelles. Lafon le sait déjà et m’écrit bien [mot illisible]. Je veux répondre à chacun, et je n’y ai pas la tête. Je te promets cependant d’écrire ce soir à Loux et à Avignon. A ce propos je reçois une lettre très angoissée de la femme du sergent fourrier Guibaud qui est parti avec toi. Il lui a laissé mon adresse pr qu’elle m’écrive à moi au cas où elle ne saurait rien de lui. Elle n’a plus rien reçu depuis le 18 elle voudrait que je te demande si tu sais quelque chose sur lui ; si tu l’as vu le 18. Je vais lui répondre que dès que tu seras en état de le faire tu me diras quelque chose. Pauvre femme !! Je puis aussi faire écrire par mon sergent Becret six contre attaques : je crois.
            J’ai compris depuis, que ta blessure en pleine poitrine reçue en brave que tu as été sûrement, n’était pas venue dans la tranchée mais que tu avais eu à subir, à la première heure, au front, un ou plusieurs de ces assauts horribles que je redoutais plus que tout et ce jour là justement j’ai eu une journée terrible à supporter. Mas, je ne veux pas faire revivre ce moment la pr toi et te donner de la fièvre je sens et souhaite un calme parfait. Sache que nous veillons près de toi, que nous sommes avec toi ta mère et ta vieille bonne qui a vieilli et maigri à ces heures cruelles et que nous prions pour toi comme nous n’avons jamais cessé de le faire.
            Je n’ai non plus jamais cessé de t’écrire à Avignon quand je ne savais où te trouver, puis au front où tu n’as pas eu le temps de rien recevoir.
            Dès que tu le pourras fais nous donner des détails sur le traitement que tu suis sur le régime. Dès que tu pourras absorber quoique que ce soit ns t’enverrons quelques gâteries.
            Chacun s’enquiert de toi et je suis émue de l’affection qu’on te témoigne. Tante Anna est attristée que nous ne puissions nous joindre dans nos soucis et nos peines. Madeleine a la scarlatine. Pierre [Pierre Benoît, cousin de Jean, fils de la tante Anna] est toujours en pleine action, pas de répit depuis un mois il ne s’est pas deshabillé.
Maurice [Maurice Beau, cousin de Jean] est parti il y a trois semaines pour les Dardanelles et Eugène [Eugène Beau, frère de Maurice] souffre tjours des parasites, peut-être de la faim.
Je cause avec toi trop longtemps, il vaut mieux s’arrêter et reprendre demain.
Que cette nuit soit bonne repose en paix mon fils chéri. Que Dieu soit avec toi.
Je t’embrasse avec la plus profonde tendresse.

Ton heureuse maman