Cette, le 29 mars 1915
Mon fils bien aimé
Alice m’apporte ce
soir une carte écrite de ta main et je ne puis contenir ma joie, ni mon
émotion. Je me demande aussi si tu as reçu quelque chose de moi ou pas
encore. Comme c’est long pr communiquer
et angoissant lorsqu’on ne sait rien d’un jour mais quelle grâce à rendre à
Dieu de permettre que tout aille pr le mieux.
Ce que tu me dis au
sujet de ma venue à Verdun ravive toutes mes incertitudes. Tu comprends bien
que je serais déjà partie sur le premier avertissement si je n’avais craint
d’abord de ne pas passer et surtout de te croiser en route. On m’a tjours
affirmé que je ne pourrais pas entrer à Verdun ; ce matin c’était encore
dit dans le Marseillais. Hugo et Suzie ne m’encouragent guère surtout en
sachant que tt danger est écarté. Il s’agit de savoir maintenant si ton séjour
là-bas sera long alors, dans ce cas, je viendrais. La dépense ne compte pas, on
s’arrange. Si tu dois être bientôt dans le midi, ce sera bien mieux pr moi de
m’installer là près de toi. Si le temps est long pr toi là bas, si tu souffres
beaucoup ce que tu ne dis pas et désires ma venue fais un petit signe et je
n’hésite plus.
Je n’arrive pas à
répondre à toutes les lettres qui me demandent de tes nouvelles. Lafon le sait déjà
et m’écrit bien [mot illisible]. Je
veux répondre à chacun, et je n’y ai pas la tête. Je te promets cependant d’écrire
ce soir à Loux et à Avignon. A ce propos je reçois une lettre très angoissée de
la femme du sergent fourrier Guibaud qui est parti avec toi. Il lui a laissé
mon adresse pr qu’elle m’écrive à moi au cas où elle ne saurait rien de lui.
Elle n’a plus rien reçu depuis le 18 elle voudrait que je te demande si tu sais
quelque chose sur lui ; si tu l’as vu le 18. Je vais lui répondre que dès
que tu seras en état de le faire tu me diras quelque chose. Pauvre
femme !! Je puis aussi faire écrire par mon sergent Becret six contre
attaques : je crois.
J’ai compris depuis,
que ta blessure en pleine poitrine reçue en brave que tu as été sûrement,
n’était pas venue dans la tranchée mais que tu avais eu à subir, à la première
heure, au front, un ou plusieurs de ces assauts horribles que je redoutais plus
que tout et ce jour là justement j’ai eu une journée terrible à supporter. Mas,
je ne veux pas faire revivre ce
moment la pr toi et te donner de la fièvre je sens et souhaite un calme
parfait. Sache que nous veillons près de toi, que nous sommes avec toi ta mère
et ta vieille bonne qui a vieilli et maigri à ces heures cruelles et que nous
prions pour toi comme nous n’avons jamais cessé de le faire.
Je n’ai non plus
jamais cessé de t’écrire à Avignon quand je ne savais où te trouver, puis au
front où tu n’as pas eu le temps de rien recevoir.
Dès que tu le pourras
fais nous donner des détails sur le traitement que tu suis sur le régime. Dès
que tu pourras absorber quoique que ce soit ns t’enverrons quelques gâteries.
Chacun s’enquiert de
toi et je suis émue de l’affection qu’on te témoigne. Tante Anna est attristée
que nous ne puissions nous joindre dans nos soucis et nos peines. Madeleine a
la scarlatine. Pierre [Pierre Benoît, cousin de Jean, fils de la tante
Anna] est toujours en pleine action, pas
de répit depuis un mois il ne s’est pas deshabillé.
Maurice [Maurice Beau, cousin de Jean] est parti il y a trois semaines pour les Dardanelles
et Eugène [Eugène Beau, frère de Maurice] souffre tjours des parasites, peut-être de la faim.
Je cause avec toi trop longtemps, il vaut
mieux s’arrêter et reprendre demain.
Que cette nuit soit bonne repose en paix mon
fils chéri. Que Dieu soit avec toi.
Je t’embrasse avec la plus profonde
tendresse.
Ton heureuse maman