Avignon
1er Mars 1915
Ma chère Maman
J’ai un chagrin. Figure toi que les
meilleurs hommes de ma compagnie les jeunes bien entendu forment une compagnie
de marche et que je ne suis pas avec eux. Je t’avoue que j’ai fait l’impossible
pour être leur chef de section. Il n’y a rien à faire. Je ne partirai que
lorsque le ministre de la guerre me désignera nominativement.
On forme un bataillon de marine avec
3/5 de bleus il ne quitterons Avignon que le 10 et ne rentrerons en campagne
qu’en Avril. Il ne s’agit plus pour moi de partir vite, ce que je desirais
jusqu’à ces jours-ci, il s’agit de partir avec des hommes que je connais que
j’ai un peu formés moi-même et avec qui nous aurions fait un bon travail. On
prenait 12 [?] bleus par compagnie.
Samedi sur les rangs j’ai demandé
les volontaires et une quarantaine se sont présentés tandis que dans d’autres
compagnies ils n’étaient que 3 volontaires. Pendant que je faisais une longue
marche avec le reste de la compagnie – avec visite d’un general etc. On les a
habillé en gris bleu. Tu parles qu’ils étaient fiers. Eux qui n’avaient encore
jamais eu de képi à eux et qui étaient très humiliés jusqu’à hier de sortir en
bonnet de police.
Le soir, reflexion faite, je suis
allé trouver le capitaine Bonard pour lui exposer mon desir. Il l’a approuvé
parfaitement, mais comme c’était pressé et qu’il devait passer à Marseille la
journée du lendemain il m’a adressé au capitaine Argaud, un protestant avec qui
j’avais même diné chez les Autrand. Le lendemain Dimanche je vais trouver le
capitaine Argaud. Lui, ne m’approuvait pas mais était très heureux de faire
cette demande pour moi auprès du Colonel. Le Colonel lui a repondu qu’il ne
pouvait pas disposer de nous que le ministre seul en disposait. Le Cne
Argaud m’a dit ensuite être bien content que sa demarche n’ait pas abouti. Il
ne faut pas bouger, suivre son sort, ne faire aucune demarche dans aucun sens
pour ne pas avoir de regrets ensuite. Je n’ai rien repondu mais ce langage me
revolte. C’est du fatalisme anti-chrétien. Quand une ligne de conduite parait
meilleure qu’une autre, il faut s’y tenir. Ns ne sommes pas des machines pour
nous laisser mener par les evenements mais des hommes pour incliner autant que
possible les evenements selon notre desir bon.
Hier j’ai été plein de tout cela,
plein de souvenirs de congres aussi ! C’était le jour universel de prière
de la Fédération, et l’anniversaire du congres de Lyon.
Au temple, Mme King m’a
invité à venir diner chez elle ; j’y étais assez à mon aise. Il y avait
outre la famille deux anglais et un cousin caporal au 7ème génie qui
venait d’être nommé aspirant. J’y suis resté jusqu’à 4 h 1/2. J’avais
rendez-vous au temple avec quelques soldats. Je ne les ai pas trouvé, mais j’ai
trouvé Mr de Jarnac, neuveu de Doumergue, qui suit en traitement à
St Didier pr maladie nerveuse.
C’est un fervent de la Federation et
ns avons parlé d’elle jusqu’au départ de son train en ns promenant.
Le soir j’ai dine chez Mme
Alric l’amie de P. Benoit. Interieur très luxueux, service impecable, reception
charmante. C’est une femme de 45 (?) ans à peu près, très spirituelle et gaie,
Son mari est + effacé. 2 enfants. Des invités parmi lesquels un soldat de génie
ancien cagneux de Louis-le-Grand.
Je t’embrasse Maman cherie, en te
remerciant de ta bonne lettre. Ma dernière a du mettre longtemps à t’arriver.
Je vs embrasse. Léo est sur le front infirmier. Je suis le seul ds les depots.
Honte à moi.
J. Médard