Vers 8 heures la faim se fait sentir. Or j’ai laissé
mon sac, qui contient quelques provisions, dans le coin où nous avons édifié la
veille un petit rempart de « sacs à terre » pour l’installation d’une
tranchée avancée. Vais-je pouvoir le retrouver ? Il est toujours là et je
puis me restaurer. Mais le secteur, qui était resté assez calme pendant la nuit
est maintenant beaucoup plus agité. Les obus tombent nombreux, faisant prévoir
une attaque prochaine.
Nous sommes presque au coude à coude derrière notre
abri dérisoire de « sacs à terre » lorsqu’une clameur s’élève :
« Les Boches ! ».
Source : Pascal
Lejeune, collection particulière de plaques de verre ©
Concernant ces deux photos, Jean écrira à sa mère, le 19 mai 1915 : « A propos
de ma blessure achète ou fais-toi prêter le n° de l’Illustration du 1er Mai. Il y a des photos des Eparges qui ont dû être prises au moment de notre attaque de Mars. En tout cas l’endroit où j’ai été blessé est exactement semblable à celui où se battent les soldats de la photo. » |
Une vague de soldats allemands débouche en effet de la
crête immédiatement à notre gauche, attaquant le secteur que je viens de
quitter. La fusillade crépite.
Je me suis levé ; pas pour longtemps. Un choc violent me jette par terre. Je viens de recevoir une balle en pleine poitrine. Je suis là maintenant, étendu sur le dos, conscient mais assommé. Je me sens profondément touché et l’air que je respire passe par ma blessure comme par le trou d’un soufflet percé. J’apprendrai plus tard que le coin où j’avais passé la nuit et le début de la matinée a été repris par les Allemands et tous ses occupants massacrés.
Je me suis levé ; pas pour longtemps. Un choc violent me jette par terre. Je viens de recevoir une balle en pleine poitrine. Je suis là maintenant, étendu sur le dos, conscient mais assommé. Je me sens profondément touché et l’air que je respire passe par ma blessure comme par le trou d’un soufflet percé. J’apprendrai plus tard que le coin où j’avais passé la nuit et le début de la matinée a été repris par les Allemands et tous ses occupants massacrés.
Lorsque
l’agitation provoquée par l’attaque allemande s’est enfin apaisée, un caporal
s’approche de moi pour me secourir.
Source : Pascal Lejeune, collection particulière© |
Source : Pascal Lejeune, collection particulière © "Pansement individuel 14-18" |
Mais que peut-il faire ? Il utilise tant bien que
mal mon « pansement individuel » en posant une compresse sur chacune
des deux plaies, orifices d’entrée et de sortie du projectile et en entourant
ma poitrine d’une bande étroite comme un cordon pour essayer de les fixer. Je
lui abandonne mon équipement et il ne cache pas son plaisir à l’idée de
posséder un revolver et une paire de jumelles. Je reste encore là deux bonnes
heures.
Vers midi, on me transporte enfin dans la tranchée, où
je suis moins exposé, mais bien encombrant. A quatre heures les brancardiers
qui n’ont pas chômé, m’emportent enfin dans un « nid de blessés », un
abri en rondins situé un peu en arrière des tranchées sur la pente du ravin.
Source : Pascal Lejeune, collection particulière de plaques de verre © |
Malheureusement il y a beaucoup trop d’oiseaux dans ce
nid. Un infirmier me fait un honnête pansement, mais nous sommes entassés et je
ne puis bouger sans faire hurler un blessé qui est à mes pieds. J’ai perdu
beaucoup de sang et je meurs de soif sans pouvoir obtenir une goutte d’eau.
Cette nuit reste dans mon souvenir comme un interminable cauchemar. « Du
fond de l’abîme je t’invoque, Eternel. Seigneur aie pitié de moi ».
Source : Pascal Lejeune, collection particulière © |
Mémoires de
Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)
1 – Le
« nid de blessés »
Texte de Nicolas
Czubak*
Le « nid de blessés » semblerait
être un point de regroupement de blessés dans la pente sud du ravin de
Fragaoulle. Il n’y a pas d’allusion à un médecin donc, réglementairement, il
ne s’agit pas d’un poste de secours de bataillon mais d’une installation au
niveau de la compagnie. Seul agit un infirmier. Là, les pansements individuels
des blessés devaient être appliqués (si le blessé n’en avait pas ou n’avait
pas eu le temps ou les moyens de les mettre).
Jean Médard avait déjà son
pansement mis tant bien que mal. Il a été transporté par les brancardiers
régimentaires depuis la tranchée où ses camarades l’avaient déplacé jusqu’à
cet endroit. Clairement, les brancardiers sont submergés par le nombre
important de blessés en cette journée du 18 mars.
* Voir encart à la fin du billet du 19 mars 1915.
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