mercredi 11 mars 2015

Avignon, 11 mars 1915 – Jean à sa mère

Avignon, 11 mars 1915
            Maman cherie 

            Voilà la nouvelle que tu attendais avec angoisse depuis longtemps : Je pars. Je sais que, malgré le temps passé par moi ds les depots, ce sera pour toi un coup et actuellement je ne pense même pas à la vie qui m’attend, je ne puis penser qu’à toi. Je sais, maman, que la souffrance des mères est plus grande que la souffrance de ceux qui se battent, et je te supplie de ne pas te laisser abattre. Je sais que tu seras forte. Si j’ai un regret c’est de n’avoir pas pu vous embrasser une dernière fois Dimanche dernier, mais ns sommes moins que jamais les maîtres de nos heures et ns n’avons qu’à être reconnaissants des bonnes journées que ns avons déjà passé ensemble cet hiver.
            Je pars pour le 132ème, qui en temps de paix est à Reims ; le depot est actuellement à Guingamp (Cotes du Nord), près de St Brieuc. Le regiment se bat je ne sais pas exactement où, entre Reims et Verdun je crois. C’est probablement là que ns irons directement. Je change d’axe et de corps d’armée (VIème). Je ne sais rien encore sur le moment, sur le jour du depart. Je viens d’apprendre mon affectation il y a une heure. Je pars avec le sergent major et 3 sergents, le caporal de la Cie, (gradés que je connais tous) et des hommes que je ne connais pas, 250.
            J’aurais probablement la responsabilité de ce renfort jusque sur le front ou sur le depot plus probablement sur le front. Un regret  c’est de laisser là tous mes bleus. Tant pis. Je t’assure qu’il me tardait, malgré tout de partir. Je me sentais mal à mon aise et la vie de depot me demoralisait veritablement.
            Je ne te dis pas de venir ou de ne pas venir. Je crois qu’il vaudrait mieux que tu ne viennes pas, mais je ne voudrais pas te laisser de regrets. Je te télégraphierai le moment de notre depart dès que je le saurais.
            J’ai tout ce qu’il me faut. Cette après-midi je vais sortir en ville faire mes dernières emplettes et mes visites d’adieu. Je dine ce soir chez Mme Alric.
            Adieu, maman bien aimée, ns serons toujours près l’un de l’autre malgré la distance et près de celui qui ns garde, ns console et nous aime.
            Je t’embrasse tendrement, je vous embrasse tous les 4 de tout mon cœur.

Jean

            Ecris moi ici jusqu’à nouvel ordre.