Cette,
le 27 Mai 1916
Mon grand fils chéri
Enfin enfin me voici de
retour ; j’aspire au logis et tu te fais une idée de ma joie. Puis-je te
l’avouer ? Suzie et Na m’attendaient à la gare et notre bijou m’a reconnue
me faisant des tas de fêtes auxquelles j’étais loin de m’attendre ne pensant
pas qu’elle garderait de moi un aussi vivant souvenir.
J’ai trouvé ici des tas de nouvelles
de toi et cela a encore illuminé le jour.
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Ces lignes n’ont pu partir hier
soir ; dans l’agitation du retour, je n’ai pas vu passer les heures et
cela sera cause
que mon fils bien aimé sera un jour sans
lettre, pardonne-moi.
Je crois rêver d’être ici. Si tu
étais là ce serait trop beau ! Au réveil Alice m’a m’apporté Na qui m’a
conté des tas de choses pendant que je m’habillais. Elle a une vie, un entrain
extraordinaires. Sa première dent est sortie ce qui est un véritable évènement.
On lui demande où est oncle Jean et elle montre ta photo en jetant ses petits
cris d’oiseau.
Je ne la trouve pas très engraissée
car elle souffre de ses dents.
Ns venons d’avoir à déjeuner un professeur
d’Anglais [M.
Corteel] du lycée de Lille. Il est
français, fort interessant et sympathique. Mobilisé comme interprète, il a
quitté Lille vivement pr ne pas être prisonnier mais laissant là-bas jeune
femme et enfants, et il est sans nouvelles depuis des mois et triste, triste à
faire pitié. Hugo et Suzie prennent des leçons le Dimanche et le gardent la
journée ; ils sont très bons pour lui.
Tante Anna vient de venir avec ses
filles et en les raccompagnant j’ai trouvé ta carte du 24. Ce matin celle du 22
venant de Saverdun. Merci de ta fidélité, de ta ponctualité plutôt. Heureuse,
reconnaissante que les gaz se soient trompés d’adresse. Oh ! Si cela
pouvait être toujours. Avez-vous encore la pluie ? Ici il fait déjà très
chaud et les mouches m’assassinent.
J’ai laissé ta tante se debattre
avec les multiples occupations. J’ai quelques scrupules et regrets retrospectifs
mais vraiment je ne pouvais plus, j’ai tenu et fait tout ce que je pouvais. Je
le regrette pour oncle Geo. J’ai tenu bon un mois.
Bonne delicieuse lettre de Mlle
[Léo] Viguier. Si tante Fanny la lisait c’est
pour le coup qu’elle s’affolerait. Elle s’étonne de mon calme à ce sujet.
Pour ce soir, adieu mon bien aimé.
Que Dieu te garde encore te guide toujours et soutienne ta belle et noble
vaillance.
J’ai voyagé hier avec un adjudant
qui a été au 58 à Pont-St-Esprit. Blessé il repartait. C’était aussi un
vaillant qui vous donne confiance et prtant il laisse femme et enfants.
Reçois mes caresses maternelles les
plus maternelles, les plus tendres.
Ta mère
Bien
bien heureuse si tu me réserves ce coupe-papier et la bague aussi, je serai
ravie d’avoir ce souvenir. Suzie voudrait tant une bague.