Villa
Svéa 6 Avril 1916
Merci de ta carte du 2 reçue ce
matin. Que ces cours d’aspirants te retiennent à l’arrière ! bien que
d’après toi ce ne soit ni mieux ni plus sûr que la tranchée.
C’est curieux vraiment cette rencontre avec [Oscar] Larose,
j’en suis bien satisfaite.
Je suis un peu contente cette après midi parce que
nous venons d envoyer 100 frs à Mr [Henri] Barraud pr l’achat d’une bicyclette.
Figure-toi que nous avons lu dans le Christianisme son appel pressant et que
tante Fanny en souvenir surtout de ce qu’il a fait pr nous[1]
s en est émue. Il dit dans cet appel
que, evacué de Verdun, il est dans un petit endroit de la Meuse ou il
est aumônier et doit visiter les cantonnements à 15 et 20 k. que sa
bicyclette refuse tout service, usée par
l’activité deployée depuis la guerre et que sa femme et sa fille ont du fuir
Verdun avec ce qu elles avaient sur elles et qu il ne peut se l’acheter. Deux
fois déjà on a demandé pr lui ; l’appel n a pas été entendu. Je lui écris
aussi chaudement que possible et je lui envoie 100 frs pr aider à l’achat. 40 f
Fanny, 25 f Suzanne, 25 Jeanne et 10 f moi. Je suis heureuse de faire quelque
chose en souvenir.
Mme Sylvander [née Marianne Bager] est venue ce soir. Pendant
que ns prenions le thé, est venue une dame Evangéliste collectant pr l’œuvre de
Mr Ferny [?] en
Gironde [?]. Fanny lui a offert
le thé ; elle ns a touchées et a prié avec nous ; une prière vibrante
mais qui nous a remuées profondément.
Son mari est au front, son fils d’adoption aussi, elle
sentait ce qu’elle disait ! et Mme Sylvander est restée si
ébranlée qu’elle vient de nous quitter sans vouloir prolonger encore.
Mon chéri, mon bien aimé comme es tu ? Quelle mine
as-tu ? As-tu reçu la chemise, caleçon et plumcake que je t’ai envoyés, ne
manque-tu pas de linge ? J’espérais que tu profiterais de ton passage dans
le camp pr te faire laver un peu de linge. Et de l’argent ?
Je me hâte pour expédier ces lignes ce soir. Sept
heures sonnent, partiront-elles ?
Suzie ne partira que Samedi. Na est encore bien
enrhumée. On met des cataplasmes sur sa jolie petite poitrine.
A déjeuner est arrivé un jeune poilu zouave retour de
Salonique, filleul de tante Fanny ; ta nièce a fait des folies pour aller
avec lui. C’était drôle tout à fait. Jeanne et tous trouvent de plus en plus
qu’elle est ton portrait.
Adieu ce soir mon bien tendrement aimé. Que Dieu te
garde toujours à chaque heure.
Je t’aime, je t’aime infiniment et te serre sur mon
cœur bien triste de toi
Ta vieille maman
[1]
Henri Barraud, aumônier à Verdun, avait régulièrement visité Jean pendant qu’il
y était hospitalisé suite à la grave blessure au poumon reçue le 18 mars 1915
aux Eparges.