vendredi 1 avril 2016

Marseille, 1er avril 1916 – Mathilde à son fils


Villa Svéa le 2 Avril 1916 [sic pour 1er avril]

            Ce matin, trois lettres à la fois. 26, 27 et 28 ! J’ai eu une joie que je ne puis te dire combien interessante cette longue lettre pour tous et pour moi. Surtout vivre ainsi de ta vie, connaître un peu ceux que tu vois que tu conduis. Tout ce qui est toi, tu ne peux comprendre ce que c’est précieux. J’ai été toute heureuse que tu retrouves [Oscar] Larose. Cela a du être une joie pour lui comme pour toi. Est-il du 132 ? J aurais voulu une vie tout à fait reposante et suis désolée que tu n’aies pas de lit et puis maintenant hélas ! C’est fini.
            Ici ce serait le calme et le repos si calme et repos il y avait à la villa. Ne demandons pas l’impossible. Tante Fanny est aussi possédée par la traque de son mari et nous vivons dans cette atmosphère de brocantage de peintures [?]. On vend et on achète, on espère faire beaucoup d’argent pr les enfants. Ce sera parait-il la fortune pour eux. On a une vie enfièvrée, à part cela les moments de travail au jardin avec tes deux cousines sont agréables. On entoure et on caresse beaucoup Na qui est tjours de plus en plus exquise.
            J’espère que Suzie reussira ses premiers essais de photo pr te les envoyer.
            Nous avons été hier voir la pauvre Mme [Marianne Bager épouse] Sylvander qui se révèle forte et courageuse. Tante Fanny m’avait prié de ne pas m’appesantir sur sa douleur. Pauvre femme, pourtant ; elle ne peut se laisser aller devant son mari qui ne sait rien. Il est bien naturel que les amis, ceux qui comprennent la laissent pleurer[1].
            Le matin, je fais travailler le piano d’Eliane [Houter, une petite-fille de Fanny] après avoir habillé Elna et ns avons été en ville cette après-midi faire quelques achats entre autres les livres pour Alice Herrmann. Je suis rentrée plus tard que je ne le pensais et voilà de nouveau ma lettre retardée. Je crains qu’elle ne parte pas ce soir, cela me désole.
            En arrivant je reçois ta carte de Paris. Je reste saisie, confondue, bien heureuse pour toi de ta joie de ce réconfort moral. Mais le cœur bien douloureux de manquer tout cela ! Que veux-tu si j’avais été là tu n’aurais pas eu toutes les autres joies bien plus précieuses et necessaires et cela dit sans arrière pensée. Tout est donc bien ainsi.
            J’ai un bien grand désir de savoir ce que tu as fait à Paris et je serai bien reconnaissante à Mlle Viguier de me le dire. Mais mon pauvre enfant tu seras rentré mort de fatigue et il faut penser aux fatigues qui t’attendent.
            Rudy [Busck] arrive pour deux jours. Heureuse tante Fanny ! Il demande à partir comme volontaire et est encore dans un fort de Ozon [?]
            Tante Fanny prétend que Lucien [Benoît] doit sa sécurité au général Rxxxx [la fin du mot est noircie (par la censure ?] (ami de son père) j’ai tant envie de lui écrire. Ne te fache pas.
            La dessus adieu pour ce soir, on m’appelle pour le diner. Je t’embrasse dans une longue étreinte.

Ta mère bien affectionnée
M P. Médard      


[1] La tristesse de madame Sylvander s’explique par la mort de son fils Harald, disparu aux Dardanelles le 8 mai 1915 et dont la mort a été officiellement annoncée en janvier 1916. L’ignorance de son mari s’explique sans doute par le fait qu’il perdait la tête comme Mathilde le mentionne dans une lettre à venir du 29 octobre1916.