16-4-16
Je viens de recevoir la bonne lettre
de Suzon du 12, et deux nouvelles photos de la petite. Elles me font un plaisir
que je ne puis pas dire. Elles ne sont pas aussi bonnes que la première qui est
vraiment excellente, mais elles sont tellement vivantes. A Cette, ds les bras
de son papa elle est roulante de placidité et de beatitude, et Hugo est reussi. A Marseille,
ds les bras de sa grand maman on la retrouve plus difficilement, mais ta
silhouette est amusante. Merci infiniment.
Vous réclamez à grands cris des
details. Mais quels details vous donner. Les seuls evenements de ma vie ce sont
les lettres que je reçois, les details sur votre vie à vous et les nouvelles
des amis. Seules les lettres me font sortir de cette torpeur qui est le mal du
front.
Je n’ai eu de desillusions ni sur
mes camarades, ni sur mes hommes, mais seulement sur moi-même. Dès que je ne
suis plus dans une atmosphère de veritable affection ou d’amitié, je
m’engourdis. La plupart de mes camarades sont très sympathiques, mais ça ne me
suffit pas. Je vis très près d’eux, car tout en restant dans le même
cantonnement ns avons changé de baraque ; la nouvelle est très confortable,
mais nous y sommes tous les ss-off ensemble. Je ne puis te parler de chacun
d’eux ; le nouveau sergent de ma section est assez agé, père de 4 enfants.
C’est un rengagé. Generalement la race des rengagés est une sale race. Celui-ci
fait exeption. Il ne parle presque pas mais est un bon camarade.
Parmi les autres : Lanoë, un
tout jeune, très gentil, bien élevé, sérieux. Je l’ai connu au depot. Ns avions
même passé ensemble une journée à St Brieuc. Couvreur, jeune aussi et assez gosse ;
seminariste. Nous nous entendons très bien. En dehors de la Cie, je
ne vois guère que [Roger
de] La Morinerie.
Avec les poilus ça va aussi très
bien. Je souffre seulement d’avoir à commander, à faire exécuter des ordres
parfois idiots. C’est le metier. Mais il est bien difficile à un chef de
section d’être un vrai frère pour ses hommes.
Vis-à-vis d’eux ma vocation reste la
même, et mon desir d’evangelisation le même ; mais j’ai pris en horreur la
parole. Ils ne savent même pas que je suis chrétien. On leur en a tant fait de
laïus alors qu’il aurait mieux valu se taire, alors qu’on en était pas digne.
Pour eux maintenant ce n’est que du « bourrage de crane » et ils ont
raison.
Je ne regrette le discours de
Barthon, ni pour moi, ni pour eux. Ce n’est pas le sermon qui me manque le
Dimanche, mais l’adoration, la confession, le chant, la prière en commun.
Aujourd’hui c’est le Dimanche des
Rameaux. Je ne puis pas mieux faire que de le passer avec vous. Je suis avec
vous, je vous embrasse.
Jean