samedi 2 avril 2016

Marseille, 2 avril 1916 – Mathilde à son fils

Villa Svéa 2 Avril 

            C’est le dimanche à la villa Svéa, il fait un temps radieux enfin. On voudrait être en famille mais arrivent des visites, Mme Brémond et je cours dans ma chambre m’isoler et être avec toi !
            J’ai reçu ce matin la plus exquise, la plus délicieuse lettre de Melle Viguier que tu puisses imaginer puisque tu la connais. Je voudrais bien la connaître moi aussi et causer avec elle. Je pourrai t’envoyer cette lettre lorsque j’y aurai répondu mais cela me dit surtout des choses que tu l’as chargée de me dire et des détails que je suis bien bien heureuse d’avoir et voici un des plus delicieux passage de sa lettre :
« la joie de ces quelques heures de détente, de communion, d’affection profonde et fraternelle faisait du bien à voir. Comme à chacun de ses passages, Jean me laisse le souvenir béni de son rayonnement. Il me suffit de le regarder pour être de nouveau remplie d’espérance et de courage, remerciant Dieu de mettre sur ma route de tels êtres de pureté et de lumière et vous étant aussi reconnaissante de nous donner pour « frère » un si délicieux fils » et plus loin… « Jean a déjeuné chez moi, je l’ai conduit à la gare et si mon affection pour lui ne peut se comparer à l’immense amour dont vous l’entourez et qu’il vous rend bien croyez pourtant que c’est de toute mon âme que je le suis jour après jour et qu’il est pour moi l’un de ces amis qu’on aime trop pour ne pas veiller sur eux comme sur un trésor. Ma prière monte avec la vôtre. Dieu nous entende. »
            Quelle âme que celle de cette femme, et comme je me sens « petite » pour lui répondre et timide d’exprimer si mal ce que je sens si intensémement.
            Ici l’on me taquine sur votre affection tu sais… et tu entends les commentaires et te voilà loin de cette atmosphère fraternelle où je sens et je comprends le bien que tu te fais il t’en reste le rayonnement et beaucoup de chaleur.
            Que t’a dit Wilfred Monod ? Oh si j’avais pu t’embrasser te voir quelques minutes. Je serais raisonnable, va et maintenant j’en comprendrais la valeur. Enfin… cela viendra. Melle V. me donne tous les détails possibles sur ce que tu lui as dit. Le dessin même de la tranchée m’est envoyé !
            Rudy est ici. Einar [Ekelund] a dejeuné. On a photographié Na si cela est bon je te l’enverrai. J’ai entendu Mr [Marc] Fraissinet, hexortation à donner pr les pays envahis pour reconstruire les foyers dévastés. Trop long ! Six minutes et l’on m’appelle pr voir Mme Bremond. Je t’embrasse en y mettant dans cette caresse tout mon amour. Bon courage. Que Dieu te garde. 

Ta vieille maman