20-4-16
Maman cherie
Je t’ai ecrit cette après-midi très
laconiquement. Depuis 2 ou 3 jours j’ai une vie extremement remplie, et je me
rejouis d’avoir ce soir quelques minutes à passer avec toi.
Le colonel commandant la brigade se
faisant presenter les aspirants du bataillon, je suis parti pour les lignes,
via un poste de commandement, avant le depart de la Cie. Je suis
parti avec un aspirant de la classe 16, un « pitchounet », avec une
figure de petite fille ; tout naïf et tout gentil. Le colonel est un bon
vieux. Il m’a demandé si j’amenais la pluie, mon age, ma profession, mes
diplomes, mon histoire mes états de service ; il m’a questionné sur ma
famille et congédié le + aimablement du monde en me disant que j’avais d’âge
pour faire un ss-lieut et qu’il me « suivrait de près ». Le colonel
commandant le régiment, chez qui je suis passé ensuite « me suivra ».
Tu me vois d’ici suivi par 2 colonels.
Je suis arrivé au secteur seulement
pour la soupe. Secteur de ligne 2 que ns prenons quelques jours avant de
reprendre la ligne 1. J’ai eu à peine le temps de faire un tour dans mon
nouveau domaine et j’ai du repartir à travers le secteur du regiment réciter ma
leçon au capitaine Garène, qui n’était pas la.
Véritable voyage ; au retour j’ai visité de plus près mon secteur,
puis, après la soupe, celui de la Cie, qui est assez etendu. Enfin
je me suis allongé sur ma couchette, où le sommeil n’a pas tardé à me visiter,
car j’étais debout depuis 4 heures du matin. Aujourd’hui moins de fatigue, mais
je me suis familiarisé avec mon nouveau coin, mes nouvelles consignes, mon
nouveau travail. Toujours grand calme, abrits confortables. Mes hommes
travaillent aux tranchées.
Et voilà ! J’ai eu une semaine
de Pâques bien peu receuillie jusqu’ici.
Source : Mémoire des hommes JMO du 132ème R.I - 20 avril 1916 |
Je « fais mes Pâques »
quand même. Cette nuit c’est la nuit des adieux de Jésus à ses disciples, de
Gethsemané, et les paroles du Christ, paroles d’angoisse ou de consolation
deviennent singulièrement vivantes. « S’il est possible, que cette coupe
passe loin de moi ; que ta volonté soit faite et non la mienne… »
J’ai reçu cet après-midi ta bonne
lettre du 26. Ne t’en fais pas pour ta dent de devant. Ça se remplace.
Quand penses-tu partir pour
Saverdun ?
Excuse la banalité de la lettre. Je
suis abrutti par le sommeil. Il vaut mieux que je m’arrête là.
Tendrement, très tendrement à toi
Jean