dimanche 5 avril 2015

Avril 1915 – Verdun, érysipèle


Mon état s’est aggravé. Un jour ma peau s’irrite et se met à boursoufler, des ampoules se forment sur tout mon corps et crèvent. Mon docteur m’installe dans une chambre attenante où l’on transporte d’ordinaire les mourants pour épargner aux autres le spectacle de leur agonie. Il ne s’agit pas d’agonie mais d’isolement. J’ai attrapé un érysipèle.
Dès que le mal est décelé on ne songe plus qu’à se débarrasser de moi. Je suis devenu un danger public. On m’enveloppe sommairement d’une couverture qui colle à ma peau privée d’épiderme et je suis transporté dans un hôpital de contagieux, à Glorieux, un faubourg tout proche. J’y serai moins bien soigné qu’à Verdun.
Pourtant je suis un cas et les docteurs viennent me voir par curiosité. D’ordinaire un érysipèle est localisé sur un œil ou sur une zone très limitée de la peau. Or le mal couvre mon corps tout entier. On doit m’entourer de pansements des pieds à la tête. Seule ma figure, enflée et couverte de vaseline est à l’air libre. Je suis fiévreux, monstrueux, nauséabond et bien misérable. Un infirmier, paysan meusien tout à fait abruti, a remplacé les excellentes infirmières de l’hôpital de Verdun.  

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)