dimanche 12 avril 2015

Avril 1915 – Henri Nick à Hélène Nick


 
La lettre qui suit m’a été communiquée par l’arrière-petit-fils du pasteur Nick, Grégoire Humbert. Il publie la correspondance de guerre d’Henri Nick et de sa femme Hélène. Le premier tome, correspondance de 1914, est paru aux éditions Ampelos (voir encart en fin d’article). Le deuxième est à paraître.
 
 
Très chérie,

Un petit mot pour te donner signe vie quoique nous soyons bien loin de tout péril.
Lundi, après t’avoir écrit, j’ai été l’après-midi revoir à 1 km et demi Bergis, le beau-frère de [Georges] Benoît. Malgré son énergie, forcément un peu déprimé par la fatigue et l’idée d’une mort fatale ; il est le seul qui ait tenu bon des officiers de son régiment...puis, je découvre le commerçant de Maubeuge à la vie mouvementée, de Maubeuge, quelques autres protestants. Nous ne serons pas appelés à les rencontrer plus tard car ce n’est pas notre corps.
Le mardi, lever à 4 h ; notre formation se met au petit pas. Je prends un chariot qui me mène à la ville. Là, je vais voir mon ancien collègue de Croix, Krug, avec lequel je me sens en sympathie ; eux visitent beaucoup de malades et ont parfois avec Barraud deux convois par jour[1].
À quelque distance de la ville, par une poussière d’été, je vais accompagner M. Krug qui s’y rend tous les jours, voir Médard que sa mère avait quitté la veille. Outre sa blessure de poitrine, il a eu un érésipèle, a pelé des pieds à la tête, est dans un hôpital de contagieux, à l’air bien faible quoique mieux ; il raconte son histoire d’une voix douce dans un langage correct. Blessé aux Éparges; il peut se traîner à 150 mètres, dans un nid de blessés, un petit abri où ceux-ci se blottissent instinctivement. L’infirmier lui dit là qu’il ne peut rien pour lui, qu’il faut aller à 1 500 mètres. Il l’accompagne. Il réussit à faire 1 500 mètres avec l’infirmier, avec quelle peine, la poitrine traversée. L’infirmier, à sa demande, le laisse à un endroit dangereux, où il trouve force de courir un instant. Il arrive à la poste de secours, il était soigné et sauvé.
Combien n’ont pas eu cette force de faire 1 500 mètres.
Il trouve quelque énergie pour me dire que comme F. Monod[2], il est un Volontaire du Christ[3]. […]
 
 
La main de l’Eternel serait-elle trop courte ?
  lettres de guerre de 1914
 
par Hélène et Henri Nick
 
 
Pourquoi Dieu n’intervient-il pas pour empêcher cette guerre ?
Cette question, sous diverses formes, tenaille les croyants dès la déclaration de guerre.
Henri et Hélène Nick, chrétiens sociaux pacifistes, aspirent à un monde réconcilié, prémices du Royaume de Dieu. Ils vivent ce temps de guerre comme un échec. S’ils adhèrent à l’ « Union sacrée », la question essentielle demeure : comment témoigner de leur foi en un Dieu d’amour au milieu du cataclysme ?
Henri Nick s’engage comme aumônier dès août 1914 ; il a 46 ans !
Sur le front, il retrouve des jeunes hommes qui, la veille encore, fréquentaient le Foyer du peuple de Fives, œuvre d’évangélisation populaire qu’il a fondée en 1901. Rapidement, il poursuit auprès d’eux son ministère de pasteur et d’aumônier avec le soutien de sa famille réfugiée à Marseille qui, de son côté, assure aussi le lien avec certains réfugiés du Nord.
Ce document exceptionnel par sa richesse, l’est aussi par les personnalités atypiques d’Henri Nick et de son épouse. À une époque encore marquée par un anticléricalisme virulent, il illustre l’action essentielle d’un homme d’église au front et la capacité de réflexion et d’action d’un chrétien engagé face aux catastrophes de ce monde.
Le pasteur Henri Nick (1868-1954) est l’une des grandes figures du Christianisme social protestant. Pendant plus de cinquante années, il fait de l’évangélisation populaire dans le faubourg lillois de Fives. Conscient de l’importance du milieu dans la construction d’individualités libres, il se préoccupe aussi bien de la misère sociale que de la situation morale de celles et ceux qui fréquentent le Foyer du peuple.
Aumônier pendant la Première Guerre Mondiale, il s’illustre en 1916 lors des combats de Verdun puis de la Somme, durant lesquels il est blessé, ainsi qu’au Chemin des Dames en avril 1917.
De sensibilité socialiste, sans être un pacifiste radical, il soutient les revendications des objecteurs de conscience dans les années trente puis assiste des familles juives persécutées durant la Seconde Guerre mondiale. Il sera plus tard reconnu « Juste parmi les Nations ».
 
 
 

[1] Il est ici question de convois funèbres. Pour les pasteurs Jacques Krug et H. Barraud, se reporter aux Circulaires des aumôniers. [Note de Grégoire Humbert]
[2] Francis Monod [Note de Grégoire Humbert]
[3] Mouvement d’étudiants protestants ayant choisi de se consacrer entièrement au service du Christ. [Note de Grégoire Humbert]