lundi 22 février 2016

Sète, 22 février 1916 – Mathilde à son fils

Villa de Suède le 22 février 1916
            Mon bien tendrement aimé 

            Ces quelques mots et les derniers te parviendront sans doute en même temps puisque ma lettre de Dimanche a été oubliée tout un jour sur la cheminée. Mais moi, je suis sans nouvelles depuis  ta lettre de Troyes arrivée Samedi soir et aujourd’hui je suis bien désolée.
            Puisque les lettres du front arrivent en trois jours je devrais avoir des nouvelles. Tous ces raisonnements ne servent à rien, le fait est là et il est triste.
            Je viens de promener ma mélancolie à ramasser [?] avec Na qui devient une superbe enfant, et je rentre fatiguée pr écrire et faire partir ces mots à cinq heures l’heure des Secteurs.
            Nous attendons Alice ce soir, retour de Montagnac où elle laisse son neveu [Maurice Bouirat]  bien fatigué et nous allons prendre cette vie de famille que tu désirais je crois pour moi. Il est sur qu elle m’est douce et fortifiante et que seule à la maison à attendre tes missives je ne pouvais supporter la durée des jours.
            Excuse-moi de te parler ainsi à toi, mon bien aimé. Je vais essayer de me créer une vie utile je ne vois pas bien comment encore. Ici, il y a eu du travail ces jours ci car ns n’avons que Nounou en ce moment comme service, Marie nous a quittés Dimanche comme je te le disais et Suzie lui pardonne difficilement son ingratitude. Elle pourrait attendre le retour d’Alice !
            Je ne suis guère en état de t’écrire ce soir. Tu pardonneras l’insignifiance de ces lignes. Je voudrais oh je voudrais savoir quelque chose de toi.
            Ns avons un temps très doux, si doux que tout bourgeonne ; le printemps fait sentir son approche, il y a des fleurs. Ns n’avons plus de feu et je voudrais que le ciel vous fut aussi clément. En tous cas je grille de savoir ce que je puis t’envoyer pour te garantir du froid.
            Bonnes nouvelles aujourd’hui, un zeppelin a été descendu, des taubs[1] aussi  mais cela ne hâte rien hélas !
            Mon bien aimé je t’embrasse avec la plus profonde tendresse. 

Ta mère affectionnée
Math P Médard 

            Hugo a apporté de Paris à Suzie un appareil et elle va se mettre à faire de la photo. Nous t’envoyons le produit de son travail.


[1] taube, en fait (de l’allemand Taube, pigeon) : avion (ennemi).