Cette
le Dimanche 13 Fevrier 1916
J’ai reçu ce matin ta carte du 10 et
c’est fidèlement que je les reçois tous les jours. J’ai eu hier Samedi ta
lettre avant de partir pour Lunel. La brave Eugénie a été la chercher au facteur et me l’a
apportée. Je ne pouvais me décider à partir, sans rien savoir, mon bien aimé
Jean.
Tu as bien fait de prendre une
chambre à Châtelaudren ; j’étais en souci de te sentir sans logement à
toi ; bien que je sache que les circonstances extérieures ne puissent rien
sur ton moral, si fort et si beau, j’avais un peu peur que cette attente fut
déprimante et je ne puis prtant m’attrister de ce retard qui est toujours cela
de gagné ! Je me demande à cette
heure si tu es toujours Breton ? Tu me crois plus courageuse que je ne le
suis, mon chéri ! Hélas j’ai bien des progrès à faire, mais je puis te
promettre que je fais tout ce que je puis pour toi, pour te faire plaisir. Je
cherche surtout à remplir ma vie, c’est le seul moyen de pouvoir la supporter
en ton absence et je remercie Dieu de toute mon âme de ne point m’abandonner et
de me soutenir.
J’ai eu hier une triste journée à
Lunel. Ta tante [Elise Médard veuve Drouillon] doit avoir la tête un peu detraquée par le malheur. Dès mon
arrivée elle a pris une colère noire pour une bêtise qui serait longue à
t’expliquer. Une chambre que je lui ai dit avoir échangée contre une autre pour
lui faire plaisir elle a crié que ce
n’était pas, qu’elle me défendait de le dire etc etc si bien que je me suis
levée de table pour partir sans vouloir finir de manger ; alors elle s’est
suspendue à mon cou en me demandant pardon, elle s’est mis à genoux. J’étais
toute tremblante et si ébranlée qu’elle a pris peur. Je suis prtant restée
jusqu’à l’heure du prochain train que j’ai pris avec joie. Je suis montée
tristement chez moi, il était trop tard pour venir ici et je me suis rendu
compte combien la société d’Alice était encore pour moi une chose précieuse.
J’ai pu me dégonfler et me suis couchée moins triste en pensant à toi qui
apaiserait mes rancœurs bien sûr.
Aujourd’hui meilleure journée. Suzie
est décidée à renvoyer sa bonne un de ces jours et se réjouit à l’idée de
reprendre Alice et de profiter de son expérience pour apprendre elle-même. Tu
comprends combien Alice est heureuse ; elle avait le cœur gros ces
derniers jours. Elle ne voulait point accepter l’hospitalité de Suzie, se
refusant à lui donner ce surcroit de dépense. Dans d’autres conditions, c’est
différent. Je lui donnerai le même mois et Suzie l’augmentera un peu, ce sera
tout de même une économie pour elle et nous y mettrons toutes du nôtre pour que
tout marche bien. Je ne sais quand même quand cela aura lieu, je veux avant
louer mon appartement et cela ne parait pas s’arranger vite. Le jeune couple
qui devait le prendre ne peut en ce moment venir le visiter. Ns attendons aussi
les meubles de Lunel pour arranger ma chambre. Tout ceci te dit que j’ai donc
accepté l’hospitalité de Suzie.
Na va très bien depuis deux
jours ; elle a déjà repris ses belles couleurs ; ses belles joues
reviennent avec son entrain. Dieu veuille que cela dure !
Ah ! mon cheri ; je ne
suis plus courageuse lorsque je songe que tu aurais pu passer à Cette ces
journées d’attente. Ta présence au dépôt n’y était d’aucune utilité, et mon
cœur de maman y aurait eu son compte ! Il faut encore du temps avant que
je fasse cesser ces regrets qui me poursuivent.
Ton anniversaire dans quelques
jours. Vingt trois ans sonnés ! Un homme vrai quoi ! et qui a répondu
à tout ce que j’ai demandé à Dieu. Il m’a comblé en toi de joie et de
bénédictions. Maintenant je lui demande en grâce de me garder ce tresor qu’il
m’a donné dans sa bonté. Je voulais et comptais t’adresser un colis afin qu’il
t’arrive ce jour là. Cela devient impossible où l’adresser ? Ce sera pour
quelques jours plus tard. Tu sauras que ta maman est près de toi plus encore,
si c’est possible.
Je relisais hier tes lettres
d’enfant tracées
d’une main malhabile avec une orthographe
impossible je revoyais toute ta vie que je voudrais reprendre pour en mieux
profiter et faire mieux mon devoir auprès de toi. Je te quitte mon enfant chéri
pour rentrer. Hugo et Suzie ont été bien braves comme toujours et il tarde à
Suzie que je m’installe. Où es tu ce soir ? Je ne sais où te suivre ?
Je t’envoie où tu es mes plus tendres caresses.
Dernière carte écrite par Jean à son père, trois jours avant sa mort. |
Ta maman
Suzie t’embrasse tendrement moi aussi. Alice aussi. Hugo t’adresse ses meilleurs messages.