vendredi 19 février 2016

Février 1916 – Front de Champagne

Source : collections BDIC
        Notre régiment occupe un secteur assez étendu au nord-est d’Auberive-sur-Suippes. Tranchées et boyaux, creusés profondément dans la craie, dessinent nettement leurs lignes blanches sur l’herbe pauvre de la Champagne pouilleuse. Lorsque la relève se fait de jour il faut emprunter des boyaux interminables, car les Allemands, qui occupent les Monts de Champagne peuvent déceler nos moindres mouvements. D’ailleurs du côté français, comme du côté allemand les « saucisses » d’observation ont fait leur apparition.
Le secteur est calme et bien équipé. On y travaille beaucoup car le commandement s’attend à une attaque de grande envergure dans nos parages. Elle aura lieu plus à l’est, sur Verdun, peu après mon arrivée en ligne. Une nuit, alors que je suis de garde, je vois passer dans le ciel clair la masse sombre d’un Zeppelin. Il devait être abattu quelques heures plus tard au-dessus de Revigny. La bataille de Verdun commençait, à plus de soixante kilomètres de nous.          
JMO 132ème R.I. 22 février 1916
Le grand coup de boutoir d’un début d’offensive nous a donc été épargné, mais nous ne perdons rien pour attendre.
        Pendant quatre mois nos séjours en première ligne presque toujours calmes seront coupés de périodes de réserve et de repos dans les baraquements de Mourmelon. Nous ne verrons pas un seul Allemand alors que nous ne sommes séparés de l’ennemi que par quelques mètres de « no man’s land ». En face de nous c’est certainement une vie grouillante de termites, semblable à la nôtre, mais extérieurement c’est le désert. Seuls les projectiles nous rappellent que ce désert a des yeux et des oreilles. Vie régulière et monotone sans grandes émotions, sans grandes pertes, bien différente de mon premier séjour au front si bref, si dur, pendant lequel je me suis senti si seul. Cette fois j’ai le temps de m’adapter, de connaître les hommes et les lieux, de me lier avec de bons camarades, de faire corps avec mon régiment. Dans mes lettres je m’applique à rassurer ma mère, dont l’amour inquiet voit toujours le pire et qui s’imagine mal cette phase nouvelle, presque paisible de ma vie de combattant. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)


Les noms soulignés en jaune (par l'auteur du blog) sont ceux mentionnés par Jean dans ses mémoires ou dans  sa correspondance concernant cette période.
 Source pour la carte : Visquis