Source : collections BDIC |
Notre régiment
occupe un secteur assez étendu au nord-est d’Auberive-sur-Suippes. Tranchées et
boyaux, creusés profondément dans la craie, dessinent nettement leurs lignes
blanches sur l’herbe pauvre de la Champagne pouilleuse. Lorsque la relève se
fait de jour il faut emprunter des boyaux interminables, car les Allemands, qui
occupent les Monts de Champagne peuvent déceler nos moindres mouvements.
D’ailleurs du côté français, comme du côté allemand les « saucisses »
d’observation ont fait leur apparition.
Le secteur est
calme et bien équipé. On y travaille beaucoup car le commandement s’attend à
une attaque de grande envergure dans nos parages. Elle aura lieu plus à l’est,
sur Verdun, peu après mon arrivée en ligne. Une nuit, alors que je suis de
garde, je vois passer dans le ciel clair la masse sombre d’un Zeppelin. Il
devait être abattu quelques heures plus tard au-dessus de Revigny. La bataille
de Verdun commençait, à plus de soixante kilomètres de nous.
JMO 132ème R.I. 22 février 1916 |
Le grand coup de
boutoir d’un début d’offensive nous a donc été épargné, mais nous ne perdons
rien pour attendre.
Pendant
quatre mois nos séjours en première ligne presque toujours calmes seront coupés
de périodes de réserve et de repos dans les baraquements de Mourmelon. Nous ne
verrons pas un seul Allemand alors que nous ne sommes séparés de l’ennemi que
par quelques mètres de « no man’s land ». En face de nous c’est
certainement une vie grouillante de termites, semblable à la nôtre, mais
extérieurement c’est le désert. Seuls les projectiles nous rappellent que ce désert
a des yeux et des oreilles. Vie régulière et monotone sans grandes émotions,
sans grandes pertes, bien différente de mon premier séjour au front si bref, si
dur, pendant lequel je me suis senti si seul. Cette fois j’ai le temps de
m’adapter, de connaître les hommes et les lieux, de me lier avec de bons
camarades, de faire corps avec mon régiment. Dans mes lettres je m’applique à
rassurer ma mère, dont l’amour inquiet voit toujours le pire et qui s’imagine
mal cette phase nouvelle, presque paisible de ma vie de combattant.