Cette le 18 Mai 1915
Ci-joint, mon grand chéri, une carte de Léo
qui j’ai ouverte par mégarde, excuse-moi.
Je suis venue chez nous un moment pr écrire
tranquillement pendant que Suzie et Madou allaient voir tante Anna et Mme
Pont et bien que la maison soit d’un calme attristant, je la retrouve tjours
avec un sentiment de joie intense. J y fais ce que je veux, j’y pense surtout
bcoup à toi et je pense à celui qui nous comble de ses bontés. J éloigne de
moi, le plus possible, tout sentiment
mauvais, toute rancœur et je te dis cela parce que tu sais que c’est mon mal.
Je m excuse parfois à mes propres yeux en me disant que les mauvais caractères
ont une âme trop sensible. Ce n’est pas très juste, pas vrai ?
Encore une joie, c’est la lettre d’Aline
Ménard que je trouve à l’instant en boite. Voici ce qu’elle me dit :
Votre fils est admirablement bien soigné par
un ami de mon ami intime le Dr Françon. Françon a vu Jean l’a trouvé en très
bonne voie. Il le prendra sous peu à Aix-les-Bains dans son ambulance où il
sera dorloté, choyé, gâté comme le serait mon Jean à moi [Jean Hugo, petit-fils
d’Aline Ménard-Dorian et arrière-petit-fils de Victor Hugo, cousin issu de
germain de Jean].
J’irai le voir et si vous allez d’abord à
Chambery vous serez satisfaite. En hâte… je pars demain pour Londres. Je vs
envoie mes amitiés et mes vœux pour vos 3 enfants… en attendant ceux qui
viendront et que je vous souhaite.
Voilà, c’est parfait, c’est bon, c’est
reconfortant et maintenant je ne regrette plus rien. Je viendrai à toi quand tu
me le diras. Vite comment vas-tu ? Je ne le sais pas aujourd’hui.
Mille baisers
Ta maman
Flashback
J’avais des rapports plus
lointains avec des parents plus proches chez qui j’ai pourtant été invité
plusieurs fois. Lui, Paul Ménard, était le cousin germain de mon père.
C’était un homme assez effacé car sa femme occupait toujours le devant de la
scène. Grands bourgeois à idées avancées, ils habitaient un hôtel somptueux
rue de la Faisanderie.
Je ne dépeindrais jamais aussi bien la maîtresse de
maison et le salon politique qu’elle présidait que ne le fait Louise Weiss
dans ses « Mémoires d’une Européenne » (p 136-137). « Dans son
magnifique hôtel particulier Madame Ménard-Dorian poussait le snobisme de
révolution jusqu’à régaler avec les revenus qu’elle tirait de ses forges, les
protagonistes de la IIème
internationale. Mécène et anarchiste, sectaire et artiste, cette
grande dame qui avait été fort jolie s’intéressait aux talents inconnus. […].
Elle avait marié sa fille unique Pauline, à Georges, le petit-fils de Victor
Hugo – union qu’elle avait préparée de longue main, séduite par cette manière
d’alliance avec le proscrit de Guernesey. [...]»
C’est pendant cette dernière période, avant et après la
guerre que je l’ai connue. J’ai déjeuné chez elle une fois avec Henriette
Psichari, la fille d’Ernest Renan, et deux de ses enfants, une autre fois
avec quelques vedettes de la politique, des lettres ou des arts, des
Bertholet, des Langlois. Je n’y ai jamais rencontré Pauline qui devait être
alors plus ou moins brouillée avec sa mère. Son accueil était toujours
aimable, mais, comme jeune étudiant en théologie si j’étais admis comme
parent je devais être classé d’emblée parmi « les ennuyeux ».
Mémoires de Jean Médard, 1970 (2ème partie : Enfance et jeunesse)
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