Chambery 30 Mai 1915
Maman cherie
Je continue à vivre
dans ma chambre ensoleillée avec le même programme, le même regime, le même
horizon, les mêmes voisins. Tu me demandais dans une de tes lettres des
renseignements sur ces derniers. J’espère que tu pourras bientôt te renseigner
toi même. Ils ne sont pas desagreables, ns sommes en très bons termes, mais il
n’y a absolument aucun lien entre eux et moi. Ce sont des ouvriers Parisiens.
Je les aimerais mieux ou moins civilisés ou plus fins.
L’un sergent parle
beaucoup de lui de ses exploits, de ce qu’il sait, etc – il en coupe la parole
même aux infirmières. Comme il a la parole facile et une certaine allure ces
dernières ne savent plus s’il est electricien ou ingenieur electricien, elles
lui apporte des livres très sérieux. Il remercie vivement, les rend sans les
avoir lu pretextant que le mal à la tête l’empêche de lire et devore des romans
pornographiques quand elles ne sont pas là.
L’autre est le
gavroche parisien sur lequel la vie a un peu passé. Il est plus simple et très
amusant. ils font des plaisanteries sales et bêtes, ont la mentalité de leur
milieu sur la morale sexuelle et tout le reste – au demeurant les meilleurs
fils du monde, serviables, gais, courageux devant la souffrance.
Maintenant que tu
annonces ton arrivée comme prochaine il me tarde beaucoup de te voir venir.
Mme Depuiboube ne peut
plus te recevoir chez elle à coucher, elle a une amie, je crois, mais à manger,
oui. Je lui ai dit que tu n’accepterais qu a condition de la faire au moins rentrer
dans ses frais ; elle a fini par accepter. Elle te trouvera peut-être
aussi une chambre à sous-louer où tu
serais + à l’aise qu’à l’hotel.
Depuis 2 jours il me
semble que je vis un peu plus. Non que l’immobilité me pèse, mais j’ai envie de
reprendre ma correspondance, de me raccrocher à des tas de choses que j’ai
abandonné depuis mon accident, et peut-être depuis que je suis soldat. A
certaines heures je voudrais travailler. J’espère ne pas me rendormir avant
d’être reveillé tout à fait.
Adieu, Maman cherie,
tendrement à toi
Jean