26 Mai Marseille
Mon cher camarade,
Malgré les deux mois bien pénibles que je
viens de passer, je ne vous ai pas oublié et maintenant que je reprends quelque
goût à tenir un crayon ma pensée va vers vous comme vers tous ceux qui ont été
sous mes ordres : vers ceux-là même que je n’ai connu que quelques heures
et dont je n’ai pas eu le temps d’apprécier les qualités, comme ce fut votre
cas.
Vous rappelez vous la
matinée que nous avons passée ensemble[1], quelques heures avant
l’attaque, et pendant laquelle nous avons évoqué ce midi ensoleillé d’où vous
veniez et ou les évènements allaient m’expédier plus vite que je ne l’aurais
cru ? Vous m’avez alors paru sympathique et j’ai été bien peiné lorsque,
beaucoup plus tard, j’ai appris que vous aviez été sérieusement blessé.
Vous me ferez plaisir
en me donnant de vos nouvelles, et vos impressions au cours de ce baptême du
feu peu ordinaire.
Bien cordialement à vous
Lieutenant Sordet
Hopital 2 bis
26 rue St Sébastien
Marseille
[1] Racontant dans
ses mémoires son arrivée aux Eparges, Jean écrit : Pourtant le capitaine Sordet, commandant de la
11ème à laquelle je suis affecté, me reçoit avec une certaine
chaleur. Mais il est préoccupé, pessimiste et las comme les autres
officiers. « Je suis le seul
officier de la compagnie, mes quatre chefs de corps sont des sergents. Vous
êtes aspirant. Je devrais régulièrement vous donner le commandement d’une des
sections, mais vous arrivez, vous ne connaissez ni les hommes ni le terrain.
Pour le moment vous resterez près de moi. Vous n’aurez que trop vite une
succession à prendre.». Voir article du 17 mars.