Le bombardement est très violent. Je perds mon meilleur ami,
l’aspirant [Edouard] Gétaz, tué d’un éclat d’obus dans la tête. Il était engagé
volontaire, fils du consul de Suisse à Marseille. Ma mère, en séjour à Marseille à ce moment-là,
était en relation avec la sienne et a été témoin de la douleur de ses parents perdant leur fils
unique, un garçon énergique, mais aussi un artiste. Sur le carnet de croquis
retrouvé dans sa cantine le dernier dessin représentait un « poilu »
arrêté devant un petit tertre surmonté d’une croix de bois avec cette devise en exergue : « A
qui le tour ? »
Nos
tranchées semblent avoir été creusées à travers un charnier. Ici une main sort
de terre et semble vouloir nous arrêter au passage, là nous piétinons pour
circuler dans la tranchée un corps recouvert de boue et presque complètement
enterré dans le sol.
Source : varredes.com |
Nous repoussons
avec succès une contre-attaque ennemie. Nous recevons non seulement des obus
allemands, mais des français. En vain lançons-nous des fusées pour demander
l’allongement du tir. Un jeune officier d’artillerie qui est venu se rendre
compte sur place est assez mal reçu par les poilus exaspérés. « Vous voyez
bien pourtant que ce n’est pas moi qui vous tire dessus puisque je suis
là ». Sa batterie lui donne d’ailleurs une démonstration spectaculaire.
C’est tout juste s’il n’est pas tué par sa propre unité. Une pièce déréglée et
en mauvais état !
Les Allemands eux
sont en train de régler le tir de leurs pièces sur ce nouveau front : un
coup court, un coup long. Nous attendons avec une certaine angoisse le coup au
but. Après plus de quarante ans il m’est arrivé de revivre dans mes cauchemars ces
réglages de tir.
Mémoires
de Jean Médard, 1970
(3ème partie : La guerre)